Tence Mena : Lady Boss
1 juillet 2024 // Grande Interview // 970 vues // Nc : 174

C’est du 400 Volt, une Ladyboss, et elle n’a pas peur de parler des « Gâteau misy fasika ». C’est l’icône de la musique tropicale, celle qui nous fait bouger depuis 14 ans. Hortencia Maroanjara, aujourd’hui connu sous le nom Tence Mena, dépasse les 20 millions de vue, à plus de 110 vidéos de clips musicaux sur YouTube. À la tête d’une boîte de production « Ladyboss Production », elle dirige, vit, et trace une carrière entièrement bordée par la musique. Tout Madagascar la connaît, et bientôt, le monde en entendra également parler.

Une carrière qui transcende le temps ?
J’ai toujours apprécié la musique : avant, j’étais timide et je n’avais pas d’amis à l’école. Le déclic est arrivé lors d’un concours de danse à l’école, à Diégo : en montant sur scène, je me sentais libre, comme si j’avais un pouvoir. J’avais 12 ans et je me disais que j’avais trouvé ma vocation, car je me sentais vraiment à ma place à ce moment-là. Repérée dans ses concours, j’ai suivi Ejema, pour devenir danseuse du groupe Tirike, et à 16 ans, j’ai fait le tour de France. On me donnait le micro, j’ai commencé à chanter et à écrire, et je savais qu’un jour, je me lancerais dans une carrière solo. Il y a eu des hauts et des bas, des sacrifices, et des erreurs qui ont permis d’améliorer.

La musique, un repère ?
Peu importe les galères par lesquelles je suis passée, j’avais un objectif sur lequel me concentrer, et vers lequel aller. À présent, j’ai ma boîte de production, qui est là depuis 2012, elle s’appelait TM Production. J’ai produit plus d’une dizaine d’artistes : j’ai été la première à produire l’artiste Janga Ratah, paix à son âme. Il y a également Rycia, Makua Malama, Lalie Laryss, Mama Rasta, ou Sacha Bam Bam.

Mais comme tout art, certains artistes n’ont pas tenu jusqu’au bout et ont vite abandonné ; ceux qui ne l’ont pas fait, s’en sont sortis aujourd’hui.  

Femme, mère et artiste…
Bien qu’avec mon travail, je voyageais souvent, mes enfants ont pris l’habitude, et cela n’a pas été trop difficile de ce côté-là. Je suis leur maman, parfois leur meilleure amie, mais quand il faut devenir autoritaire, je le deviens. Ce ne sont pas des enfants gâtés, je leur enseigne la vie réelle : ma priorité est de permettre à mes enfants de vivre dans le confort, de travailler, et de manger correctement, tout en évitant qu’ils vivent ce que moi j’ai vécu, en étant plus jeune, c’est-à-dire la précarité ou la famine.

Le « show-business », un milieu
C’est très différent de la musique qu’on pratique par passion : je suis dans ce qu’on appelle le « show-business ». Et là se trouve le défi, car il faut trouver le thème qui parle à tout le monde. C’est très difficile de savoir ce que le public aime. Les chansons un peu trop moralisatrices avec des messages de sagesse, cela n’intéresse pas. Si elles sont un peu « fofolles » où l’on se déchaîne, ça passe ! Et cela créé davantage de controverses : on finit par critiquer les artistes sur comment nous sommes censés enseigner, faire des passer des messages, et non faire des chansons un peu « folles ». Par contre, je ne m’attendais pas à ce que « Mpandresy Anao » (Tu es un vainqueur) parle au public, alors qu’il n’y a aucune attaque, tout vient de mon cœur. Et c’est comme cela : on ne sait jamais à quel moment ça va passer.

Difficile de faire un tube dans ce cas ?
Il y a eu un moment où je n’ai pas fait un seul tube. En 2015, j’ai eu une descente de carrière pendant près de trois ans. Je ne m’attendais pas à arriver à ce stade, en pensant que j’étais déjà au sommet, mais à un moment donné, il n’y a pas eu une seule chanson qui soit passée. Il n’y avait que des critiques, des dénigrements : c’était le monde à l’envers ! Je me sentais comme dans un trou noir, et même en appelant au secours, personne ne venait, il n’y avait pas de lumière, pas de projecteurs. Une chose est sûre, ce moment m’a fait comprendre qu’il ne fallait pas abandonner : si je l’avais fait, je ne serais pas là où je suis en ce moment. Il faut toujours chercher ce qui ne va pas, essayer, et lâcher prise : là, je suis sortie de ma zone de confort.

D’où le choix de la variété ?
Auparavant, je m’y tenais à un seul rythme : le salegy, le mipoapoaka, puis, j’ai laissé. J’ai sorti « Anao no tegna izy », d’un autre genre. Ma visibilité est revenue à partir de ce moment, puis ont suivi « Sitrany Solo » et un tout nouveau répertoire. Le rythme mipoapoaka était toujours là, mais j’ai également commencé à proposer plusieurs rythmes, pour un large public, et pour que chacun apprécie, selon ses goûts. Il ne fallait pas rester fixé sur un genre. Ces trois ans m’ont permis de m’améliorer, et ce n’est pas une perte : j’ai toujours eu cette mentalité où soit je gagne, soit j’apprends.

« J’ai toujours eu cette mentalité où soit je gagne, soit j’apprends. »

Une musique qui n’arrive pas à passer les frontières ?
Le réseau est encore fermé à Madagascar. Tout le monde vit à travers les réseaux sociaux, surtout pour vendre les chansons. Ici, il n’est pas encore possible de monétiser la musique. Imaginez, je suis à près d’un million de vues sur YouTube, normalement, je devrais déjà gagner de l’argent, mais la monétisation n’existe pas. Comment évoluer, puisque le seul moyen de rentabiliser la musique est de faire une tournée, et sans cela, l’argent qu’on a investi ne nous revient pas ? Il n’y a qu’une source de revenu, à part, bien sûr, les collaborations avec des entreprises, en associant nos images respectives. Vivre en tant qu’artiste en plein essor nécessite encore beaucoup de travail. Le contexte ne dépend pas de nous, mais de l’ouverture des réseaux à Madagascar, et des téléchargements légaux comme ITunes, ou Spotify. La réalité des artistes à Madagascar est que : pour intégrer notre musique sur ces plateformes, il faut passer par des intermédiaires ayant une adresse à l’étranger. L’argent doit passer par ces intermédiaires, avant de parvenir ici. Ce n’est pas tout le monde qui connait cela.

De l’espoir malgré tout ?
C’est encore assez difficile, mais il y a de l’espoir, et j’espère que les jeunes vont apporter ce changement en revendiquant. En faisant cela, peut-être que nous allons enfin nous ouvrir. Pourquoi est-il possible pour d’autres pays de faire le tour du monde ? Nous avons Diamond en Tanzanie, Tyla en Afrique du Sud : pourquoi nos voisins peuvent aller jusqu’en Amérique, mais nous, nous restons à Madagascar, en faisant un petit tour à Tsiroanomandidy, Miarinarivo, Anjozorobe, puis Ambanja et Nosy Be ! L’année prochaine, ce sera encore le même parcours, et en 14 ans de carrière, ça a toujours été comme cela, puis un petit tour à l’étranger où le public reste la diaspora.

Le rôle de Tence Mena dans tout ça ?
Que pourrais-je faire, moi, Tence Mena, à mon niveau, à part revendiquer ? Mais je demande aux autorités de voir cela de plus près, car ce n’est pas seulement pour les artistes.  La musique est une source de vie, mais aussi de développement. Personne ne peut vivre sans, mais elle peut bien faire évoluer le pays : c’est le repère, la référence. S’il y a un artiste célèbre, il éveillera la curiosité sur son pays d’origine, et éventuellement, celle des investisseurs et touristes. Si l’on se tourne vers les Etats-Unis, on pense directement à Beyonce ou Rihanna. En France, on voit Dadju, Aya Nakamura : c’est pour cela que je dis qu’il faut donner sa valeur aux artistes, car l’art peut mettre en lumière notre pays, et devenir une source de développement.

Des projets ?
Mes objectifs ont évolué : j’ai l’intention de percer à l’international, que le monde entier sache qui est Tence Mena, et d’où elle vient, de Madagascar. Mais en ce moment, je prévois de faire un petit retour aux sources. J’ai envie de chanter pour mes ancêtres, et revenir au traditionnel, à travers du Antsa Sakalava. C’est un projet qui me tient à cœur, d’autant qu’il n’a rien à voir avec le show-business : j’y mettrai tout mon cœur, toute mon âme, en hommage à mes grands-parents, aux anciens, afin de demander leur bénédiction. C’est un retour aux racines, et je ne veux pas le mélanger avec d’autres instruments trop modernes, mais vraiment, chanter « Hiantsa ». Cela se fera sur un album, avec six ou sept chansons, en parcourant tous les Antsa, parce qu’il y a plusieurs sortes : ils ont toujours été en moi, et je ne les ai jamais exploités, mais je me dis, c’est le moment, pour vivre enfin de ma passion, et ne pas toujours rester dans le commercial. J’aimerais, maintenant, travailler sur quelque chose qui me tient à cœur, sans aucune influence.

Propos recueillis par Rova Andriantsileferintsoa
Facebook : Tence Mena
Numéro : +261 34 33 744 15

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