En dix-huit ans d’existence, le festival Rencontres du Film Court a permis d’envoyer 67 réalisateurs dans des écoles de cinéma à l’étranger, des lauréats de compétition. Résultat, une génération de cinéastes est née : Luck Razanajaona, Andry Ranarisoa, Lova Nantenaina, pour ne citer qu’eux. Rebaptisé « MadagasCourt Film Festival » depuis l’année dernière, la dix-huitième édition se tiendra du 24 novembre au 02 décembre prochain. Laza Razanajatovo qui est à l’origine du festival revient sur son impact dans le paysage cinématographique malgache.
À l’origine de RFC ?
Après avoir étudié le cinéma au Canada et en France, j’ai décidé de revenir à Madagascar pour faire un état des lieux du cinéma : qu’est-ce qui est déjà en place ? qu’est ce qui fait défaut pour dynamiser ce milieu ? D’où le festival, car à quoi sert un festival ? Il sert justement à savoir qu’est-ce qui est produit chaque année, à déterminer comment venir en aide aux producteurs, à préparer des projets sur l’année à venir. Le résultat était encourageant dès le début car il y a eu 35 participants.
Je me souviens qu’à mon retour au pays, on ne pouvait pas réellement parler de cinéma, mais le festival a créé un espace de discussion autour de ce milieu, il a permis des échanges, ce qui est important pour dynamiser le monde du cinéma à Madagascar.
Pourquoi le court-métrage ?
J’ai choisi de concentrer le festival sur le court métrage car c’est un exercice pour réaliser un long métrage après, c’est-à-dire un film de plus de 60 minutes. Il est vrai que le court métrage est une mode d’expression à part entière, il y a même des cinéastes confirmés qui en font encore ; mais pour le festival, nous allons dans le sens où il s’agit d’une forme d’entraînement, d’autant plus que le projet a surtout ciblé des jeunes. Pour autant, cela ne veut pas dire que nous écartons le long métrage, ceux qui ont participé au festival en produisent maintenant.
Un choix pédagogique alors. D’ailleurs, comment maintenez-vous la pertinence du festival en termes de qualité ?
Pour les films en compétition, nous mettons en place un jury éclectique. Il est composé de Malgaches, d’Africains et d’Européens. En tant que président du jury, je ne donne pas de consignes particuliers, chaque membre porte son propre jugement quant au mérite de chaque film. Parmi eux, il y en a qui ne sont pas dans le monde du cinéma, parce que les films ne s’adressent pas qu’aux professionnels, et il y a des personnes qui sont totalement baignés dans le cinéma. Il faut juste que les hommes et les femmes dans le jury sachent porter un regard sur la situation. Ensuite, ce n’est qu’après dix ans depuis la création de RFC que j’ai décidé de n’y inclure que ceux qui vivent du cinéma. En effet, le film primé sert d’exemple sur ce qu’un film doit être, vu que nous sommes en train de définir ce que c’est que le cinéma malgache. Les réalisateurs sont familiers avec les difficultés qu’il y a à affronter pour pouvoir diffuser un film dans une salle de cinéma. Alors ils nourrissent les débats grâce à leurs expériences, ce qui fait que le choix du film lauréat est plus légitime.
La qualité à l’honneur…
Certes c’est un festival gratuit, mais cela ne veut dire en aucun cas que c’est un projet frivole. Au contraire, nous voulons toucher les esprits, nous n’avons pas une vocation lucrative mais une vocation pédagogique. Quand vous créez un produit de qualité, il perdure et génèrera toujours des revenus ; mais si vous travaillez à la va-vite, vous pouvez toucher 5 000 Ariary aujourd’hui et plus rien demain. C’est un reflet de la situation à Madagascar : on cherche aujourd’hui ce qu’on va manger aujourd’hui, sans penser à demain ni à après-demain. Ceux qui ont été sélectionnés au festival Rencontres du Film Court, eux, ont une vision de ce qu’il y aura dans une ou deux semaines au moins. Et c’est là que l’Etat doit intervenir, il faut un centre de cinéma, il faut fixer des tarifs pour tous ceux qui travaillent dans ce secteur.
Justement, quel est le contexte pour Madagascar ?
Ici, il n’y a pas de fonds d’aide ni un appui de l’Etat pour le cinéma. C’est un problème fondamental, car il y a des pays où il y a vraiment une industrie du cinéma, appuyée par l’Etat. Un centre national pour le cinéma est nécessaire, en gros : l’Etat vient en aide aux producteur, ensuite, ces derniers versent des impôts. Ainsi, les films pourront dénicher plusieurs opportunités, ils peuvent attirer des touristes, et c’est là l’intérêt de l’Etat. Ceux qui sont en mesure de prendre ces décisions ne se rendent pas compte que le cinéma représente beaucoup un retour sur investissement important. C’est notre handicap par rapport à des pays comme le Sénégal ou le Rwanda.
Malgré ce contexte, le festival continue à tourner. Comment expliquer cette longévité ?
C’est le festival de court métrage le plus âgé sur le continent africain, il y a eu des festivals de court métrage avant et après RFC mais aucun n’a tenu pendant dix-huit ans. Nous avons des partenaires fidèles, un public, des personnes qui vivent grâce au festival. Parmi les partenaires, il y a notamment l’Institut Français, l’ambassade de France, l’hôtel Sakamanga, et de nouveaux partenaires sont venus pas la suite. Nous recevons également des financements de la part de fondations internationales, elles continuent à nous faire confiance. Même pendant la crise sanitaire, nous avons résisté, alors que de nombreux festivals ont été suspendus, RFC a continué au moins de novembre au lieu du mois d’avril. Notre leitmotiv c’est aussi d’apporter une nouvelle activité à chaque nouvelle édition en plus de la compétition, par exemple il y a eu la séance Ampamoaka où nous avons diffusé des films engagés, et cette année il y a ANIM’ATO, une résidence de six semaines pour créer des films d’animation. C’est aussi ce qui fait la longévité du festival.
Y a-t-il un avant et un après RFC ?
Justement nous avons refait un état des lieux en 2018, il s’avère que 90% des professionnels de l’audiovisuel à Madagascar sont déjà passés par RFC. Quand on revient sur l’histoire du cinéma malgache de 2006 jusqu’à présent, il y a une nouvelle génération de cinéastes dont la plupart ont côtoyé le festival, car il n’y avait que RFC comme festival. La plupart de ceux qui œuvrent dans le monde du cinéma commencent à pouvoir en vivre car ils investissent la production internationale, ils commencent à recevoir des fonds d’aide pour réaliser leurs films. Pour ceux qui ont suivi des formations à l’étranger, ils sont inspirés et commencent des projets à Madagascar, ils apportent un nouveau regard et font évoluer leur milieu.
Que peut-on attendre de cette édition de MadagasCourt Film Festival ?
Le concept de base a changé, c’est pour cette raison que nous avons nommé le festival « MadagasCourt Film Festival » depuis l’année dernière. Même si le festival s’adresse toujours aux réalisateurs du continent africain, les activités ne sont plus centrées dans ce sens. Nous appuyons plutôt les rencontres et les naissances de projets. Au début nous nous intéressions surtout aux débutants, mais maintenant, nous nous concentrons à lancer ceux qui se sont déjà familiarisés avec le festival au cours de ces dix-huit ans, nous ciblons donc des têtes d’un certain niveau. Pour cette édition, nous collaborons avec Annecy Film Festival, nous allons former quatre producteurs pendant quatre jours, lesquels seront envoyés à Annecy l’année prochaine pour concrétiser leurs projets, pour trouver des personnes avec qui travailler.
Et vos projets personnels ?
Je prépare un long-métrage intitulé « Ala fady », c’est un film développé dans le cadre d’ANIM’ATO Mada. La production commencera l’année prochaine, il devrait sortir en 2025 si Zanahary le veut. Ce sera mon troisième long-métrage en tant que projet personnel.
Propos recueillis par Mpihary Razafindrabezandrina
Contact : Laza +261 34 29 358 67