Njakatiana, ce crooner malgache aux multiples talents est un phénomène musical. Avec plus de 200 titres à son compteur, cet auteur-compositeur a bercé des millions de fans à travers tout Madagascar, et même au-delà. L’artiste fête cette année ses 31 ans de scène et de communion avec son public. Nous avons voulu retracer son parcours atypique dans son ascension vers les sommets de la musique malagasy.
31 ans de scène : un style indémodable et des fans toujours présents ?
Ma réussite, c’est d’avoir toujours été fidèle à mon style et je le resterai, car c’est ce que mes fans aiment. Je n’ai jamais fait dans la tendance. Il fut un temps où le rock était en pleine effervescence avec les groupes tels qu’Ambondrona, ou encore le kilalaky qui, à un moment, avait conquis la scène nationale. Malgré tout ça, je suis resté fidèle à mes principes et mon public me rend bien cette loyauté.
Justement, comment définissez-vous votre style ?
Je suis cosmopolite et je pense que c’est ce qui a grandement influencé mon style musical. Pour la petite histoire, j’ai vécu toute mon enfance à Antsiranana, car ma mère vient de cette région. Pour les gens de là-bas, j’étais un gars des hauts plateaux, car mon père vient de Manjakandriana. Lorsque j’arrivais dans la capitale, on me considérait comme un gars de la côte.
Ma musique a été donc le fruit de mes diverses origines. Grâce à mon père, j’ai été bercé dans la musique de l’Imerina. Du côté de ma mère, j’étais grandement influencé par le salegy, le watsa watsa, le antsa… Toute cette richesse culturelle est fortement présente dans ma musique. Par exemple, dans mon premier album, j’ai mis des titres qui s’intitulaient « salegy vaovao » ou encore « Tia hody », des fusions de plusieurs rythmes de différentes régions de Mada. De ce fait, j’ai ma propre façon de faire du salegy, du slow, du begina et autres. Au fil du temps, j’ai pu qualifier mon style comme étant une pure « variété malagasy » dans lequel j’y ajoute mes touches personnelles.
Avec près de 200 titres, comment se crée une chanson ?
Lorsque je compose une musique, je me soucie de faire passer quatre choses : les paroles, les accords, la mélodie et la rythmique. C’est l’ensemble de toutes ces choses qui forment une chanson. Je ne prétends pas qu’elles aient forcément un impact auprès des gens, mais, en tout cas, c’est mon souhait à chaque fois que j’élabore une nouvelle production. D’ailleurs, je suis à la réalisation de toutes ces étapes. Pour l’inspiration, je n’ai pas de recette magique. C’est quelque chose qui vient comme ça, naturellement et spontanément. D’ailleurs, c’est la raison pour laquelle j’ai fait construire un studio dans ma maison. Il arrive parfois qu’au beau milieu de la nuit, une étincelle d’inspiration me parvient. Je me lève aussitôt et je travaille dessus. Cela peut arriver durant des voyages, des balades, des rencontres. Dans tous les cas, ça ne vient pas à la demande !
Comment cette quête de la musique a-t-elle commencé ?
J’ai vécu dans le nord de Madagascar toute mon enfance et c’est de là-bas que l’histoire a commencé. La célébrité ne m’attirait pas, je voulais plutôt montrer mon talent et être apprécié du public. À cette époque, il y avait une émission de chant qui passait sur la chaîne nationale. De jeunes talents chantaient tout en étant accompagnés par un grand orchestre devant un public adulte. Avoir vu le public applaudir et se tenir debout devant les prestations de ces jeunes a fait naître en moi le désir d’être chanteur. De plus, à chaque fois qu’on recevait des invités, mon père me demandait toujours de chanter et d’amuser la galerie. Je n’étais pas comme tous les enfants de mon âge, j’avais déjà de bonnes notions en chant, car je m’entraînais souvent.
Jeune et talentueux ?
Je suis autodidacte, un vrai avantage. À l’âge de 11 ans, je chantais et jouais divers instruments pour mon église. Lorsqu’on organisait des événements, je participais toujours dans les animations et je m’étais habitué à la scène. A mes 14 ans, avec un groupe d’amis, nous avons décidé de créer un groupe, « Tanjomanana ». Nous étions jeunes, mais nous avions déjà du succès. Des groupes tels que Mahaleo nous avaient déjà repérés et nous avons, une fois, eu l’honneur de jouer en « guest » pour leur spectacle. À la même époque, j’étais promu chef de chœur au sein de mon église par ma maîtrise des partitions. J’ai appris le solfège à l’école de musique Cnem ainsi que le piano. Je me suis entraîné au sol fa grâce aux enseignements de la chorale et par la suite, j’ai essayé de me perfectionner.
Pour passer un cap, il fallait aller à la capitale…
Après notre obtention du bac, le groupe « Tanjomanana » s’est dissous, chacun des membres avait pris une direction différente. Certains sont partis poursuivre leurs études universitaires à Majunga, d’autres à Toamasina ou à Fianarantsoa. Quant à moi, j’avais décidé de venir ici à Tana, c’était en 1988. Ce choix n’était pas par hasard, car, en ce temps-là, j’étais déjà décidé à poursuivre une carrière d’artiste, et atteindre une envergure nationale. De plus, tout ce qu’il fallait pour devenir professionnel dans la musique était centralisé dans la capitale : la Radio et Télévision nationale, les studios d’enregistrement…
La naissance d’un duo inédit ?
En 1990, c’est-à-dire, 2 ans après mon arrivée à Antananarivo, je faisais équipe avec Parson Jacques. Il était mon aîné, mais on s’est lié d’une amitié indéfectible, car on venait tous les deux de la côte. Moi, je venais d’Antsiranana, la région DIANA, quant à lui, il était originaire de la région SAVA, d’Antalaha plus précisément. De plus, j’étais un grand fan de sa musique. La connexion s’est faite lorsqu’il a entendu une de mes chansons à la radio et qu’il s’est ensuite demandé qui aurait pu bien être l’artiste derrière le tube qui l’a émerveillé. J’étais encore inconnu à l’époque. Après ça, il m’a proposé de collaborer avec lui et ce fut un réel plaisir pour moi. Par la suite, nous avons travaillé sur des chansons qui se sont avérées être des tubes et on a commencé à faire des concerts en duos. À l’instar des Ndondolah sy Tahiry, Vola sy Noro ou encore Bessa sy Lôla, Njakatiana sy Parson Jacques était lancé.
1991, le début de votre carrière solo…
Pour autant, je n’étais pas satisfait de mon parcours, je savais que je pouvais faire mieux que ce que je faisais à l’époque. Finalement, moi et Parson Jacques avions décidé de séparer nos routes respectives. Lui, voulait se consacrer entièrement à ses études universitaires. Quant à moi, je voulais continuer ce rêve d’enfance, car au fond de moi, je savais très bien que j’étais sur la bonne voie. J’ai donc freiné mes études de droit pour entièrement me consacrer à ma passion. De là, Njakatiana est né. En 1991, j’ai sorti mon premier album, fait la promotion pendant un an, et réalisé mon premier concert intitulé « Du jamais vu » en 1992.
Et des rencontres encore inédites ?
Si je suis là aujourd’hui, c’est grâce aux musiciens que j’ai rencontrés au studio Rafale2000 à Ambatonakanga à l’époque. Une sorte de carrefour pour les professionnels de la musique. Au départ, je leur avais demandé de jouer pour ma chanson, mais ils étaient sceptiques. Vu que je n’avais pas assez d’argent pour les payer tous, j’ai donc décidé de tout faire par moi-même. J’ai commencé à jouer de la batterie, puis de la basse, j’ai enchainé ensuite par le clavier. Ils ont été émerveillés par mes prestations, et là, ils étaient enfin entrés dans l’ambiance. À partir de là, ces gars, des génies en musique, m’ont aidé sur divers points et aspects de ma vie. Je rends ici hommage à Datita Rabeson, mon premier soliste. Tala, un saxophoniste hors pair, Eric Rakotoary, mon bassiste d’antan ainsi que Lora, des frères Arthur. Au clavier, il y avait Silo, encore jeune à l’époque, mais tous reconnaissaient déjà son talent. J’étais également assisté par Sam Rakotoarimalala dit « Sam Rapide », celui qui a collaboré aux albums de Fenoamby.
31 ans de carrière : les souvenirs les plus mémorables ?
Une de mes plus belles expériences, c’est ma participation à un festival international de musique à New York, en 2009. J’ai eu l’honneur de chanter en étant accompagné par les plus grands artistes du monde tels que les musiciens de Mariah Carey, Whitney Houston et Céline Dion. Il y avait également David Pay, et bien d’autres encore. C’était un moment magique pour moi, un gars qui venait de la brousse d’Ambilobe portant la musique malagasy sur le toit du monde. Sinon, les moments difficiles de ma carrière ont grandement été causés par le manque de sérieux de certains organisateurs et producteurs. Je peux même dire que c’est le problème majeur des artistes à Madagascar depuis le temps que je suis passé pro jusqu’à nos jours. Les raisons de désaccords peuvent être diverses, mais ça, le public ne le connait pas forcément. Tout ce qu’ils constatent, c’est que l’artiste qui leur a donné rendez-vous n’est pas venu et ça nuit grandement à la réputation de ce dernier.
Votre avis sur la musique actuelle ?
Pour ceux et celles qui veulent percer dans la musique et devenir célèbres, je n’ai qu’un conseil : la patience. Il faut atteindre un certain degré de maîtrise et de connaissance pour pouvoir se prétendre être un artiste professionnel. Ça m’attriste de voir qu’aujourd’hui, la majorité des artistes recherchent avant tout la célébrité plutôt que de respecter les valeurs fondamentales de la musique, c’est-à-dire produire quelque chose de qualité, et qui ait un sens. Si l’objectif est de chanter pour pouvoir séduire des femmes ou encore se venger par rapport à des gens, je trouve que ce n’est pas la peine. De plus, avec la présence des technologies comme l’autotune, certains artistes ne font plus l’effort de savoir chanter et c’est parfois une honte lorsqu’on assiste directement à leurs concerts.
Les projets ?
Oui, il y a toujours des choses en cours ! En ce moment, je sillonne un peu partout dans Madagascar pour des concerts et spectacles. Toutefois, j’ambitionne de réaliser deux grands spectacles dans un avenir proche à Madagascar et à l’extérieur.
Propos recueillis par Girard Ravelomanantsoa