Quelques Malgaches dans le monde au XVIe et XVIIe siècle
9 janvier 2020 // Histoire // 783 vues // Nc : 120

À partir du XIX laquelle le roi Radama I e siècle et plus précisément de 1817, date à er conclut un traité de commerce avec les Anglais, de nombreux Malgaches quittèrent leur pays pour étudier. Ce fut le cas, par exemple, des frères de Radama envoyés à l’île Maurice, d’une quinzaine de jeunes hommes dont les jumeaux Raombana et Rahaniraka partis en Angleterre (qui seront nommés à leur retour au pays l’un secrétaire particulier de la Reine et l’autre ministre des Affaires étrangères). Un peu plus tard d’autres suivront pour aller étudier dans divers pays d’Europe. Revenus à Madagascar, certains se destinent à l’armée, d’autres à l’écriture, d’autres encore s’intéressent à la théologie ou à la diplomatie.

Mais il m’a paru intéressant de chercher à savoir si avant cette date-là, des Malgaches étaient recensés dans le monde.
Il est évident qu’un trafic important d’esclaves a été mis en place dès que les Européens découvrirent la Grande Île. Ainsi, en 1639, Cauche1 estime à cinq pièces d’argent une femme et son enfant ; en 1667 les Arabes venant des Comores achetaient des enfants pour deux à quatre pièces d’argent; En 1668 le britannique Peter Mundy2 croise dans l’océan Indien un bateau misérable qui se dirige vers la mer Rouge ; les marchands sont des arabes et ils transportent environ 300 esclaves venant deSaint Laurent (c’est-à-dire de Madagascar). En 1768, le voyageur Bernardin de Saint-Pierre de passage àMaurice écrit : « C’est à Madagascar qu’on va chercher les Noirs destinés à la culture des terres (…) le plus cher ne coûte guère que 50 écus». Un autre témoignage plus tardif de Raombana affirme que les Européens achètent en Imerina des esclaves au prix de trente à quatre-vingts dollars par tête et les revendent à Bourbon ou à l’île de France (Maurice) trois fois plus cher.

Ainsi, on sait que de nombreux Malgaches furent achetés et envoyés dans les colonies anglaises ou françaises ou vers les Amériques. Mais il est difficile de retrouver des traces précises de l’un ou l’autre d’entre eux. Cependant certains, suite à des concours de circonstances, sortent de l’anonymat.

On sait, par exemple, qu’en 1658 Monsieur de la Meilleraye, lieutenant général de Bretagne et gouverneur de Nantes, offrit à Louis XIV un captif qui venait de l’île Dauphine (ainsi fut appelé Madagascar par les Français pendant un certain temps). Un jeune Hollandais, Philippe de Villiers, de passage à Paris, en vit le portrait et le décrit :
« Le 22 mars 1658 il nous arriva un monstre en copie, dont nous aurons bientost l’original. C’est un vray visage chevremougne qui n’est pas pourtant si laid ni si affreux, qu’il se soit trouvé des femmes à Nantes, qui l’ont demandé en mariage... Celles qui le demandent ne le veulent avoir que pour courre le pais et le montrer pour de l’argent. Ce sera sa Maiesté qui en disposera, puisqu’on dit que Mr de la Milleraye le luy envoyé. Ne diroit-on pas, à le voir homme des espaules en bas et à considérer son col en trompe d’éléphant, sa teste de chameau, composée de deux oreilles de renard, couverte d’unpoil de barbet, et qui se finit par un menton fait en bec de perroquet, que les fables des anciens n’ont pas esté tout à fait fables, et qu’il y a eude véritables centaures qui ont pu donner occasion à ce que nous en ont dit les poètes. Enfin l’esprit humain ne se peut rien forger de si grotesque, que la nature ne puisse produire en un endroit ou en un autre, quand elle se veut jouer et quitter son vray but pour suivre son caprice. »

L’histoire ne dit pas ce qu’il devint à la cour du roi de France : jardinier ? Serviteur ? Ouvrier à Versailles ?
Ou finit-il comme un triste animal de foire ?
La destinée du petitfils d’un dénommé Ramaka, roi antanosy, fut bien différente.
Ramaka avait été enlevé par les Portugais et envoyé à Goa où les Jésuites tentèrent de le christianiser. Mais il revint dans son pays, ne voulut plus entendre parler du christianisme et se révolta contre Flacourt qui tentait à ce moment-là de mettre en place un établissement pour le compte de Louis XIV. Ramaka avait quatre filles dont l’une épousa un nommé Machicor3 ; ils eurent un fils qu’ils appelèrent Houloue; ils acceptèrent qu’il soit baptisé sous le nom chrétien de Jérome. Les circonstances qui précé- dèrent l’envoi en France de ces enfants sont à peu près connues par le récit d’Etienne de Flacourt qui raconte comment il avait fait arrêter Machicor le chef et l’avait fait enfermer à Fort-Dauphin, pendant huit jours. Le prisonnier lui ayant fait remarquer que s’il ne réapparaissait pas ses sujets ne travailleraient plus, Flacourt accepta de le libérer s’il recevait à sa place en otage son fils aîné et deux de ses neveux auxquels il fit mettre à chacun un fer au pied et qu’il fit enfermer dans une prison de pierre. Mais le 25 mai 1654 Flacourt apprit que Machicor abandonnait les otages et désertait le pays avec tous les siens. Il décida alors de rentrer en France pour savoir quels étaient les intentions du roi quant à la colonie créée à Fort-Dauphin.

Il laissa Pronis commander la colonie à sa place et s’embarqua le 12 février 1655, sur le navire l’Ours. Il arriva à Saint-Nazaire le 27 avril 1655 avec ses otages. « Jerosme, son fils (de Dian Machicore), trois de ses neveux, ont esté amenez en France, dont il y en a trois petits-fils ou neveux de feu Dian Ramach, roy de Carcanossi et le dernier qui a régné », nous précise Flacourt. « Le 28, écrit-il plus loin, je me mis dans une chaloupe avec sept François, quatre Nègres et mes hardes et suis arrivé à Nantes»4. Les enfants n’étaient probablement pas destinés à rester en France étant considérés comme une précieuse monnaie d’échange. Cependant un faisceau de drames changèrent leur destinée : tout d’abord la mort de Pronis à Madagascar en 1655, suivie de la mort de Ramaka puis de celle de Machicor et de presque tous leurs fils et neveux en 1656, et enfin de la mort d’Etienne de Flacourt, qui périt dans l’océan Atlantique en 1660 lors d’un second voyage où l’envoyait le duc de la Meilleraye. À tous ces décès s’ajouta l’abandon en 1674 de l’établissement de Fort-Dauphin, et les petits princes restèrent en France… Or, nous savons ce que devinrent deux d’entre eux qui furent confiés au duc de Mazarin.

Le plus jeune garçon, celui qui fut baptisé Jérome et auquel on donna le nom de Machicor, nom de son grand-père, une fois ses études finies, fut nommé commis des gabelles en Alsace puis il parvint au grade de cornette dans son corps de garde5. L’autre, nommé Palola, décéda rapidement. Une chronique du temps rédigée par H. de l’Hermine qui rencontra Machicor à la foire d’Altkirch en Alsace le 25 juillet 1675 le décrit ainsi :
« À la foire qui arrive le jour de Saint-Jacques et de Saint-Christophe, en juillet, je fis connoissance avec un homme d’une autre nation et d’une autre couleur. C’est un prince affriquain qu’on appelle Machicor, qui a été enlevé par les vaisseaux du Roy de l’isle de Madagascar, son païs natal, avec un de ses cousins nommé Palola, à l’âge de quatre ou cinq ans et amenés en France où ils ont été élevés par le duc Mazarin dans tous les exercices convenables à des gentilhommes. Palola6, qui était plus âgé de quelques années que son cousin lorsqu’ils furent pris, a toujours été fort mélancolique, et enfin il s’est laissé mourir de chagrin. Pour Machicor, il étoit de mon tems cornette des gardes du duc Mazarin, fort content de sa condition. C’étoit un jeune homme d’environ vingt-cinq ans, très bien fait dans sa taille médiocre, qui dançoit en perfection. Il avoit, comme on peut juger, le teint d’un nègre, mais ce n’étoit pas d’un beau noir; il tiroit plutôt sur la couleur du musc olivâtre. Ce qui me paroit particulier, c’est que contre l’ordinaire des Maures il a les cheveux droits et plats7, ce que j’ay remarqué en diverses occasions où je l’ay vu sans perruque : avec cela, il avoit de l’esprit comme un démon, agréable en compagnie et fort bien venu : car, outre son mérite personnel, on révéroit encore sa naissance, quoiqu’inconnue, et on ne l’apellait communément en Alsace que Kônigssohn8. J’ay fait plusieurs questions à M. Machicor touchant son enfance, mais il n’avoit qu’une mémoire confuse de son pais : il ne savoit pas même deux mots de sa langue maternelle; il se souvenoit seulement assez bien de son enlèvement.»

Ainsi, appelé fils de roi, décrit comme un excellent danseur et un homme spirituel et intelligent, Machicor semble s’être parfaitement intégré en France et avoir joui de la considération de ceux qui le connaissaient. Mais on trouve mention de Malgaches sur des terres encore plus lointaines que la France ; en effet, l’académicien philologue et historien Clovis Ralaivola mentionne deux Malgaches baptisés à l’église Notre Dame de Montréal en 1692. Voici deux extraits du registre de Notre Dame :
« Le vingt quatrième jour de mai, veille de la pentecôte de l’an milsix cent quatre vingt douze, a été batisé un nègre natif de l’île de Madagascar âgé d’environ vingt six ans, demeurant chés Monsieur Dupré, marchand en cette ville. Il a été nommé Louis(…)« Le dit jour vingt quatrième de mai de l’an mil six cent quatre vingt douze, a été batisé un autre nègre natif de la même Ile de Madagascar d’environ vingt quatre ans et nommé Pierre Célestin demeurant chés M. Leber marchand (…) »

On ne sait rien d’autre les concernant mais il faut noter qu’ils ne sont pas présentés comme appartenant à M. Dupré ou à M. Leber mais logeant chez eux. Enfin un autre Malgache est mentionné quoique très brièvement par Goethe en 1787 dans son ouvrage Voyage italien. Cette fois, c’est à Rome que se trouve ce Malgache : il fait partie d’une liste de 30 séminaristes. Une autre étude émanant du RP Remy l’Hermite9 mentionne en 1792 le retour au pays d’un prêtre malgache ayant terminé sa formation à Rome. Il s’agit certainement du même individu. Mais ce qui est étonnant c’est qu’il faut attendre le XIXe siècle pour que des tentatives d’évangélisation catholique soient connues à Madagascar. Comment cet homme a-t-il été christianisé ? Par qui ? Comment son séjour à Rome a-t-il été organisé ? Qu’estil devenu de retour dans son pays ? De multiples questions restent sans réponse. Sans nul doute, peut-on, au hasard d’une recherche ou d’une lecture, découvrir encore d’autres Malgaches partis loin de leur pays volontairement ou non bien avant le XIXe. Les quelques individus que j’ai recensés ne nous apprennent qu’une chose : la diversité de l’accueil qui leur fut réservé.

1 François Cauche, explorateur français qui vécut au XVII° siècle et explora surtout la côte est de Madagascar.
2 Peter Mundy : explorateur britannique.
3 Le nom Machicor ou Masikoro désigne ici un individu mais il est également un nom vernaculaire désignant des Sakalava qui habitent l’intérieur du pays non loin de Tuléar, au sud-ouest de l’île. À l’époque de Pronis et de Flacourt, ils élevaient des bœufs que les Français leur achetaient pour la viande et le cuir.
4 Le nombre de neveux du roi varie en effet. Flacourt en enferme deux avec le fils du roi puis ensuite parle de trois neveux et compte en effet quatre «nègres » qui débarquent à Saint-Nazaire.
5 C’est-à-dire officier porte-étendard d’une compagnie de cavalerie.
6 Petit-fils également de Ramaka, un peu plus âgé que son cousin.
7 Ce détail semble révéler les origines merina du jeune homme.
8 Fils de roi.
9 Cité par Clovis Ralaivola.

Sources :
_ E. de Flacourt, Histoire de la Grande île de Madagascar, Paris, Karthala 1995.
_ H. de l’Hermine, Mémoires de deux voyages et séjours en Alsace 1674-1676 et 1681 …, publ. la première fois d’après le manuscrit original par J. Coudre, Mulhouse, 1886.
_ A. Seyrîg : «Un malgache, officier de Louis XIV», Bulletin de l’Académie malgache, 1931.
_ Jean Valette : Bernardin de saint Pierre et Madagascar. Bulletin de Madagascar n°259, 1967.
_ Manuscrit anonyme conservé aux Archives de Notre Dame de Montréal intitulé; «Les esclaves noirs à Montréal sous l’ancien régime».
_ Clovis Ralaivola : Deux malgaches à Montréal en 1692. Bulletin de Madagascar n°286, 1970.
_ P. de Villiers, : Journal du voyage de deux jeunes Hollandais à Paris en 1656-1658, publ. par A.P. Faugère, nouv. éd. L. Marillier, Paris, 1899. _ Raombana : Histoires I éd. et trad. par S. Ayache, Fianarantsoa, Libr. Ambo-zontany, 1980.
_ Anne Lombard-Jourdan : Des Malgaches à Paris sous Louis XIV, Archipel 9, 1975.
_ Simon Ayache : La découverte de l ‘Europe par les Malgaches au XIXe siècle Outre-Mers. Revue d’histoire,1986.

par Annick de Comarmond

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