Le portrait communément admis comme étant celui de la reine Ranavalona I est un faux. Il a été exécuté par Ramanakirahina suite aux demandes des autorités coloniales, pour l’exposition coloniale de Marseille en 1906. Pourquoi est-ce qu’on ne sait pas réellement à quoi cette reine ressemblait ? Entre croyances traditionnelles et stratégies politiques, l’historienne Helihanta Rajaonarison nous explique les raisons.
La photographie fait son apparition à Madagascar dans un contexte où l’île est en pleine fermeture au monde extérieur sous le règne de Ranavalona I (1828-1861). La technologie photographique naît en France en 1826, et atteint l’île seulement en 1853 par le missionnaire britannique William Ellis. Ce dernier, membre de la London Missionary Society (LMS), introduit la technique après plusieurs missions dans l’Océan Indien et la Polynésie. Ses tentatives de photographier Madagascar répondent à un désir de documenter la culture malgache, mais aussi à des ambitions politiques de la LMS qui cherche à renforcer sa présence chrétienne dans un pays où la reine voit d'un mauvais œil toute influence étrangère. Dans cette période de repli, la capitale Antananarivo n’avait encore aucune reproduction iconographique locale, hormis quelques portraits du roi Radama Ier et de ses proches réalisés à Maurice. C'est dans ce contexte que la photographie se présente comme une véritable révolution, mais aussi comme une source de tensions culturelles et politiques.
Cependant, la reine Ranavalona I, farouchement attachée aux traditions malgaches, se montre méfiante vis-à-vis de la photographie. Elle est influencée par une croyance traditionnelle selon laquelle un portrait ou une photographie volerait l'âme de la personne, en capturant un « double humain individualisé ». Cette vision fait écho à des superstitions présentes dans plusieurs sociétés de l'époque qui considèrent la photographie comme une technique invasive. Pour Ranavalona I, l'appareil photo incarne une menace pour l'identité et la souveraineté malgaches, symbolisant l'ingérence des puissances étrangères. La reine repousse donc toute tentative de se faire photographier, considérant cette pratique comme une forme de soumission et de violation de son pouvoir. Elle interdit même à ses conseillers de fréquenter Ellis, perçu comme un intrus en raison de ses équipements photographiques. « Elle était influencée par son entourage, l’oligarchie qui a aidé dans son accession à la couronne. Les Européens considéraient alors que Madagascar était revenu dans l’obscurité ».
Les descriptions de Ranavalona I qui nous sont parvenues proviennent essentiellement d’observateurs étrangers, comme William Ellis et la voyageuse Ida Pfeiffer, souvent biaisés par leur propre perception et leur méconnaissance de la culture malgache. Ces descriptions la dépeignent comme une femme imposante et autoritaire, parfois cruelle, marquée par des traits physiques affirmés et un regard intense. En l'absence de représentations visuelles, ces descriptions subjectives sont les seules informations qui nous donnent une idée de l'apparence de la reine, mais elles contribuent également à une image partielle et parfois déformée de sa personne.
Ellis fait une description de la reine dans Three visits to Madagascar, dans son entrée du 5 septembre 1856, dont voici un extrait traduit de l’anglais : « La silhouette de la reine n’est pas grande, mais plutôt grosse, le visage rond, le front bien formé, les yeux petits, le nez court mais non large, les lèvres bien définies et petites, le menton légèrement arrondi. Toute la tête et la face sont petites, compactes et bien proportionnées ; son expression de visage était plutôt agréable qu’autrement, bien qu’elle indique parfois une grande fermeté. Elle paraissait en bonne santé et vigoureuse, compte tenu de son âge, qu’on dit être de soixante-huit ans ».
La voyageuse Ida Pfeiffer la décrit au milieu de son entourage, le 2 juin 1857 : « La reine, selon l’usage du pays, était enveloppée d’un large simbou de soie, et, comme coiffure, elle portait une énorme couronne d’or. Quoiqu’elle fût assise à l’ombre, on n’en tenait pas moins déployé au-dessus de sa tête un très grand parasol en soie cramoisie, qui fait partie de la pompe royale ».
Enfin, le célèbre portrait souvent attribué à Ranavalona I – celui d'une femme vêtue de rose avec une couronne – est en réalité celui de la princesse Rabodo, future reine Rasoherina. Cette peinture est inspirée d’une photographie d’Ellis de 1856, représentant la princesse. Avec le temps, ce portrait a été interprété à tort comme celui de Ranavalona I, notamment dans les manuels scolaires et les musées. Cette confusion révèle les enjeux de l’époque coloniale, où l’image des souverains malgaches était modelée pour servir les intérêts de l’administration coloniale française. Cette erreur historique montre comment la mémoire visuelle de figures importantes comme Ranavalona I peut être façonnée, manipulée et mythifiée, effaçant ainsi une part de leur identité authentique. « C’est ce portrait commandité par les autorités coloniales qui est reconnu par la plupart des gens comme étant son portrait ; mais, même si les historiens veulent travailler pour corriger les incohérences historiques, nous manquons d’un accompagnement et d’un soutien de l’Etat ».
Mpihary Razafindrabezandrina
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