Luck Razanajaona et Parista Sambo Delanoël : Une histoire africaine, pour le monde
31 juillet 2024 // Cinéma // 2112 vues // Nc : 175

Disco Afrika, une histoire malgache qui fait le tour du monde. Passé par le festival de Marrakech, de Berlin, Toronto, Seattle, et le festival de Cinéma Africain de Tarifa-Tanger (FCAT) où le film reçoit plusieurs prix, dont celle de l’interprétation masculine en juin dernier. En septembre prochain, le film sera projeté à l’Afrika Film Koln en Allemagne. Luck Razanajaona, réalisateur, a rencontré Parista Sambo Delanoël, acteur principal, en 2022, alors que ce dernier n’a aucune expérience dans le monde du cinéma. Puis se créé un lien entre les deux sur un film qui, derrière son succès, a connu bien des envers.

Photo : Wefilm

Huit ans de travail et plusieurs rebondissements ?
Luck : En 2011, vers la fin de mes études, j’ai montré une première page à Ludovic Randriamanantsoa, mais je n’avais pas encore assez confiance en moi. Quand on est un jeune réalisateur, on ne cherche pas forcément à être trop ambitieux, on fait de l’autocensure, parce qu’on ne sait pas si la carrière va décoller. J’ai écrit le scénario en 2015, et déjà, à cette époque, j’ai commencé à postuler pour des fonds, dont un fonds de développement en Egypte. En 2016, à l’occasion du Durban Film Art en Afrique du Sud, j’ai rencontré un producteur français, et après signature, j’ai commencé à développer le scénario. Travailler seul, c’est bien, par contre, pour un long-métrage, il est difficile d’avoir un certain recul : j’ai donc commencé à collaborer avec un scénariste brésilien. Il est allé au marché des films à Rotterdam, ce qui nous a permis d’obtenir un fonds de développement. Mais la question est survenue : comment allions-nous le financer, parce que c’est le premier film d’un réalisateur « peu connu ». Certes, on me connaissait dans certains festivals, comme à Clermont-Ferrand, mais ce n’était pas à la hauteur des fonds, d’autant que les court-métrages ne circulent pas vraiment. Le producteur a donc commencé à déposer des dossiers, et avec le Covid, les réponses ne sont arrivées qu’en 2021. Elles nous disaient de retravailler le scénario, et c’est là que j’ai fait appel à un autre co-scénariste de l’École Nationale Supérieure des métiers de l’image et du son (FEMIS), et pour équilibrer, j’ai également proposé à Ludovic Randriamanantsoa de nous rejoindre.

« Je tirais les « pousse-pousse » et les « tuc tuc »,
j’ai même été porteur – ma vie a connu un grand changement après le film. »
Parista Sambo Delanoël

Une production qui commence donc en fin juin 2022 ?
Luck : Oui, à Toamasina. Et le côté positif de cette étape, c’est que l’équipe malgache a été mise en avant : sur neuf Français, je dirais qu’il y a eu 40 Malgaches occupant chaque poste. Le tournage fini, nous n’avions plus d’argent pour financer la phase de post-production : nous avons postulé pour le Atlas Workshop en novembre 2022, ce qui nous a permis d’avoir une aide à la post-production en novembre 2022. C’était la galère : il fallait déposer des dossiers, et continuer à travailler dessus. En avril 2023, j’ai fait un séjour en France pour le montage, puis en octobre, le mixage et l’étalonnage. Mais à ce moment, mon passeport a été retenu au consulat de France pendant un mois : j’ai été bloqué, au moment même où je savais que le film a été sélectionné au festival de Marrakech. Une fois le problème des papiers réglé, j’ai directement embarqué pour l’Afrique du Sud pour m’occuper du reste de la partie post-production, et je n’ai même pas eu l’occasion de voir la dernière version. Ce n’est qu’au festival de Marrakech que j’ai pu voir le rendu.

Un film couronné de succès ?
Parista : C’est vrai qu’ils ont été nombreux en Allemagne, à avoir reconnu que le film était bien. Ils ont été nombreux à chercher une collaboration, d’autres nous ont offert des cadeaux. Certains voulaient donner une suite au film, d’autres ont expliqué qu’ils avaient un projet à Madagascar, et qu’ils étaient en pleine préparation, mais qu’ils étaient intéressés à l’idée de travailler avec moi. Ce qui est bien, c’est que ma vie a changé après Disco Afrika : j’ai rencontré une équipe, dont les membres sont devenus des amis proches. J’ai également reçu une recommandation de l’ambassade de Madagascar en Allemagne, ce qui a fait que j’ai vite trouvé un travail à mon retour. Si avant, j’étais indépendant – je tirais les « pousse-pousse » et les « tuc tuc », j’ai même été porteur – ma vie a connu un grand changement après le film.


Effectivement, vous avez récemment reçu deux prix, dont celui de l’interprétation masculine…
P : Je n’ai jamais eu d’expérience dans le domaine du cinéma. J’ai juste entendu qu’il y avait un casting à l’Alliance Française de Toamasina, et j’y suis allé le dernier jour. Tout ce que je savais, c’est que j’aimais regarder des films – petit, je pouvais passer des heures à les regarder. Et je voulais concrétiser cela : il n’y a pas eu de grandes difficultés, même s’il y a eu des parties plus dures que d’autres. Mais la vie du personnage n’était pas tellement différente de la mienne, et c’est devenu naturel pour moi. Aussi, j’ai ressenti qu’il y avait quelque chose que je pouvais faire, surtout pour porter la voix du peuple, et j’en ai profité pour montrer la vie que nous menons ici, en bas. Je ne m’attendais pas à ce prix ! J’ai été très heureux, au point de prendre une journée juste pour moi. C’est vrai qu’en Allemagne, nous avons reçu une mention honorable, mais j’avais toujours quelques doutes, et là, c’est confirmé : le film a parlé au public. J’en suis très heureux.
L : Le festival de Ciné-Africano de Tarifa est l’un des plus anciens festivals africains sur le continent européen. Ce qui le rend intéressant, c’est que le public a majoritairement un problème d’identité, en étant né sur un territoire africain, mais en étant Espagnole, cela ajoute les affaires de migration. Le festival propose quelque chose d’intéressant par rapport à cela. Nous avons eu deux prix, celui de la Coopération Espagnole, et celui de l’interprétation masculine. Mais je trouve que ce dernier est plus important parce que, en tant que réalisateur, on sent toujours ce doute, cette angoisse comme quoi la direction n’est peut-être pas assez bien, surtout qu’il s’agit d’un long-métrage.

« Disco Afrika a réussi à toucher la fierté des Africains en général »
Luck Razanajaona

Mais de quoi parle le film ?
L : Le film est comme une avant-garde des événements politiques en Afrique depuis ces cinq dernières années. Il parle des faits, de la jeunesse africaine qui s’exprime, et qui veut créer sa propre histoire, et apporter sa contribution au développement. Cette génération de maintenant qui dit qu’elle n’est pas au courant de beaucoup de choses de son passé, et qui veut y faire un voyage. Disco Afrika a réussi à toucher la fierté des Africains en général : ils ont ressenti comme une identification à l’histoire. Bien que le film, si tout s’est bien passé, était censé sortir en 2016, il raconte toujours cette contribution des jeunes, mais aussi, les pressions qu’ils vivent au quotidien. Par exemple, il y a une séquence du film où de discussions sérieuses sont coupées par un délestage, une autre où en marchant dans la rue, il y a tout d’un coup une émeute, à cause des grèves estudiantines.

Un message pour la jeunesse…
L : Ce que je souhaiterais, c’est que cette jeunesse comprenne que le changement commence par chaque individu, à condition qu’ils agissent là, maintenant, sans trop intellectualiser. Dans le trailer, on entend le personnage faire une déclaration à son pays. Le titre Disco Afrika, est un hommage au père du personnage, dont le seul souvenir, le seul rattachement physique qu’il a est un disque. Et pour ne pas confondre, on a ajouté « A Malagasy story », mais il peut très bien être une histoire sénégalaise, ou malienne. D’autant que quand je fais quelque chose, je reste ancré dans le panafricanisme. Je suis convaincu qu’on peut faire des choses entre nous, et même durant mes ateliers, je fais appel à des techniciens africains, d’un, pour les faire connaître, et de deux, parce que, entre nous, nous comprenons nos galères : nos vécus pendant le tournage sont assez similaires.

Photo : FCAT Tarifa

P : L’histoire elle-même m’attire, surtout parce qu’elle raconte ce qu’on vit ici, à Madagascar. C’est du vécu, et il ne m’a pas été trop difficile d’entrer dans la peau du personnage. C’est l’histoire de notre pays, que je viens appliquer dans un film. Je savais exactement ce que le film, et le réalisateur demandaient : les gestes, la posture. Je ne me disais pas que j’allais venir tout habiller au tournage, d’autant que selon le scénario, et les indications sur le plateau, il fallait que je sois moi-même, comme tous les jours. Et pour cela, je pense que tous les jeunes Malgaches peuvent apporter une contribution quel qu’elle soit. Je m’adresse surtout aux acteurs : je ne m’attendais pas à ce que le film ait ce rendu, mais je pense que le fait que j’y ai mis tout mon cœur ait contribué à cela. Et le voilà ! Beaucoup ont reconnu que c’était bien. Personnellement, je ne peux pas juger par moi-même, mais ce que je tiens à dire, c’est qu’il faut y mettre du cœur, ne pas chercher à changer qui nous sommes au quotidien, et juste… le faire !

Après plus de six festivals, que diriez-vous du cinéma à Madagascar ?
L : Le film va encore faire quelques tours, dont Lausanne et Autriche, ce mois d’août. La projection à Madagascar est prévue pour le mois de novembre, et aux dernières nouvelles, l’Université de Princeton a acheté le film. Je pense que c’est le bon moment pour porter le cinéma malgache au monde. Mais au niveau national, il faut commencer par installer une infrastructure – une école de cinéma ou des Beaux-Arts – et un fonds national. On perd énormément de liberté quand on ne dispose pas de ce dernier : en Chine, ils financent eux-mêmes leur film historique, parce que c’est leur histoire. Les fonds internationaux ont un modèle, une phrase qu’ils veulent entendre, et c’est surtout pour cela qu’on a eu besoin d’un co-scénariste. Mais voilà, le cinéma touche beaucoup de choses, et il est nécessaire d’établir cette structure. Mais ce qui est faisable là, tout de suite, c’est de faire en sorte qu’il devienne une matière à l’école, ou au moins, au lycée, afin d’orienter les jeunes sur les métiers possibles. En tant qu’initiateur du Madafilmlab, ma politique a toujours été ainsi : il faut rendre le cinéma accessible, et que tout le monde – et pas seulement les privilégiés – puisse connaître les bases, et que ce soient vraiment les professionnels qui aillent sur le terrain et disent « et si on faisait un film ? » Tout cela pour que chacun sache toutes les possibilités. Pour moi, c’est simple, il faut que tout le monde se rende compte que le cinéma, d’un, offre une liberté d’expression, et de deux, qu’il s’agit d’une vraie industrie, qui nourrit beaucoup de personnes. S’il y a, par exemple, 17 réalisateurs, où sont les 17 producteurs, et les 17 monteurs ou monteuses ? Ce sont ces cases du métier du cinéma qu’il faut relever !

Propos recueillis par Rova Andriantsileferintsoa

Contact : whatsapp
Luck Razanajaona : +261 33 07 958 66
(Luck Anikulapo Moa Anbessa)
Parista: 033 38 952 00

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