Trois jeunes femmes liées par la même histoire, celle des cheveux bouclés, crépus ou ondulés. Depuis six ans, elles ont révolutionné le milieu de la coiffure et le retour au naturel à Madagascar avec leur entreprise Curly Aho. Rencontre avec Irina, responsable du développement commercial et marketing communication, Antsa, responsable du pôle production et Francette, responsable du salon Texture Natural Hair Spa.
Curly Aho, une histoire de cheveux ?
Antsa : Tout a commencé en 2017, quand j’ai créé la page Curly Aho Community. A Madagascar, j’ai vécu la discrimination capillaire, le fait de ne pas avoir les cheveux lisses. Et finalement, j’ai remarqué que je n’étais pas la seule. J’ai rencontré Francette, nous étions ensemble à l’Université. Je lui ai demandé de me rejoindre pour gérer la communauté. Au début, nous partagions des astuces même jusqu’à maintenant. La communauté s’est développée très rapidement parce que beaucoup de gens vivaient la même histoire avec leurs cheveux. Ensuite, en 2018, nous avons décidé d’organiser un évènement pour une rencontre avec la communauté baptisé Curly Aho Day. Par la suite, Irina qui faisait partie de la communauté, nous a rejoints. Actuellement, nous comptons 50 000 membres qui sont sélectionnés en fonction des règles que nous avons établis.
Lancer une entreprise sans expériences, un véritable défi ?
Irina : A l’époque, nous étions fraîchement diplômées en commerce, en communication, en marketing, mais pas en coiffure. Notre vision, c’étaitd’apporter un changement à travers les cheveux, d’avoir des impacts sociaux économiques. En 2019, nous avons ouvert le Curly Aho Shop, pour la vente en ligne d’accessoires spécialisés dans les cheveux texturés. Nous gagnons de l’argent à partir de la vente de brosses, testées et approuvées par nous-mêmes.Depuis le lancement, nous sommes en autofinancement. Nous n’avons pas osé nous tourner vers les institutions financières pour demander des prêts, ça nous faisait peur. Mais ce qui nous a le plus aidé, c’est d’avoir été sélectionné par The Tony Elemulu Foudation, qui accompagne tous les jeunes entrepreneurs en Afrique. Nous avons pu définir notre business plan, démarrer notre salon grâce au capital de 5 000 dollars pour acheter une première partie de nos produits pour le salon et l’ouverture du salon. Un fonds de roulement pour soutenir notre croissance.
Texture, le premier salon pour les cheveux texturisés à Madagascar ?
Francette : Nous avons constaté les besoins de notre communauté, ce qui nous a poussées à créer le salon de coiffure. Les partages et les conseils en ligne ne suffisaient plus. Par contre, aucune d’entre nous trois n’avaient des notions en coiffure. Antsa a donc fait une formation pour acquérir des bases en coiffure, ici, avant de partir en France pour assister à une foire des cheveux. Elle a rencontré des curly expert notamment Daisy Henson. Elle nous a aidées pour lancer le salon de coiffure, les techniques de soin… Texture, c’est un salon en hommage aux différents types de texture pour les cheveux.
Antsa : Il faut savoir que le premier salon ouvert en mars 2020, quelques jours avant le confinement total, était situé dans un petit couloir de 7 m² qui appartenait à ma cousine. Nous prenions soin des cheveux à partir de mes connaissances à la suite de ma formation. Debout dès 6h du matin pour tout préparer, nous recevons les client.es à 8h. A l’époque, nous ne recevons que sur rendez-vous, nous étions bookés presque deux mois à l’avance. Entre 11h et midi, l’une d’entre nous devait préparer à manger, un sandwich n’était pas suffisant pour le corps qui restait debout toute la journée. Mais nous nous sommes rendu compte que le rythme était trop dur. Finalement, nous avons dû embaucher une femme de ménage, un agent d’accueil et une assistante. Aujourd’hui, nous avons une trentaine d’employés et le salon se trouve désormais dans un local de 70 m² à Analakely, le premier natural hair spa certifié Curl Expert.
Curly Aho, c’est aussi une gamme de produits « vita malagasy » ?
Francette : Avec tout ce que nous retrouvons sur internet c’est-à-dire, les recettes de grands-mères et nos recherches personnelles sur le retour au naturel, nous avons remarqué qu’il fallait des formations professionnelles qui ont changé toute l’approche au niveau de la qualité du travail et du traitement des cheveux. Notre gamme de produits Loharano avait des débuts en cuisine en 2019, mais nous avons dû arrêter puisque nous n’avions plus de sous. Nous n’avons pu reprendre qu’en 2021 après l’ouverture du salon de coiffure avec une cadence de travail qui nous a disciplinées. Des heures de travail, mais la passion et l’envie nous ont aidées à nous accrocher. Irina : A l’époque, nous utilisions des produits importés et des produits naturels, réalisés par nous-mêmes selon le diagnostic du client. Importer devenait très difficile à cause du coût et nous avons décidé de lancer nos propres produits pour donner confiance aux gens en consommant du vita malagasy. Nous avons une panoplie de matières premières et nous voulons mettre en valeur les produits locaux. Nous avons exploité cela pour notre gamme de produits Loharano. Nous l’avons lancé en mars 2021, encore une fois en plein confinement, avec deux produits : le leaving gel et le masque hydratant. Un retour incroyable et le soutien inconditionnel de la communauté. Actuellement, nous avons complété la gamme avec sept références de produits.
D’autres défis à relever ?
Irina : A chaque étape de notre évolution, notre équipe est composée de jeunes femmes qui étaient à leur première expérience professionnelle. Chacune, y compris nous, avons appris sur le tas. Nous avons eu plein de client.es mécontent.es. Nous pensions être fortes, mais parfois, c’est compliqué. Dans le parcours d’entrepreneur, il faut savoir prendre du recul, analyser si ce que nous faisons s’aligne à nos valeurs, nos visions, si nous sommes bien mentalement.
Francette : Quand on est jeune, avec la passion, on a tendance à laisser de côté les plaisirs personnels, et même la santé mentale. Je dirais que ce sont ces sacrifices-là qui étaient les plus difficiles. Aujourd’hui, nous avons appris à déléguer, à prendre soin de nous autant que nous prenions soin de notre entreprise. Notre objectif, c’est aussi de rehausser le métier de coiffeur, un métier qui se respecte.
Antsa : Je pense que le dicton qui nous définit le mieux, c’est « pour avancer loin, il faut avancer ensemble. » Toutes les trois, nous grandissons professionnellement et humainement. Nous sommes des jeunes femmes introverties, nous n’avions pas de mentor à l’époque, sans expériences, et nous avons pu créer une entreprise. Cela nous a transformées dans la compréhension des choses que nous sommes capables de réaliser. Entre nous trois, ce n’est pas une question d’argent. C’est ce sentiment d’empowerment à travers nos cheveux que nous avons longtemps détesté, mais qui nous a finalement réunit, à être fière d’être une femme, une Malagasy, une Africaine. Finalement, notre rêve a un sens.
Propos recueillis par Aina Zo Raberanto