Alors entré en vigueur depuis fin 2021, le projet Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) n’emballe pas encore le secteur privé malgache. Madagascar a signé l’accord en 2018, mais Alain Pierre Bernard, membre des Commissions Économie et Commerce du Groupement des entreprises de Madagascar (GEM) et ancien Conseiller Régional en Politique Commerciale du PNUd Consultant international exhorte de ne pas « se précipiter ».
En quelques phrases, qu’entend-on par Zlecaf ?
Il s’agit d’un accord qui a pour objet de créer marché commun pour les 54 pays du continent africain. Il vise à faciliter les échanges des biens et des services, des affaires et des investissements, et aussi à réduire les droits des douanes entre les pays membres. La Zlecaf est similaire aux Sadc (Communauté de développement de l’Afrique australe), Comesa (Marché commun de l’Afrique orientale et australe) et autres inclusions commerciales dans lesquelles Madagascar appartient déjà. La différence est que, là, il s’agit d’un accord concernant tous les pays du continent, sans distinction. Les discours tournent autour d’une promesse de baisse – jusqu’à 30% – de la pauvreté extrême dans le continent. C’est alléchant et attrayant, mais nous – dans le secteur privé – invitons à ne pas nous précipiter.
Pas prometteur pour Madagascar ?
Du moins, pas encore pour le moment. Madagascar accuse encore d’immenses problèmes de compétitivité et d’accès au marché. Nous devons d’abord lever toutes ces contraintes avant d’y adhérer de manière effective, sinon, la Grande Île sera réduite à un marché pour les autres pays, sans pour autant pouvoir bénéficier des opportunités d’ouverture que constituent les différents accords commerciaux. Là, je ne parle pas uniquement de la Zlecaf, mais de toutes les intégrations dans lesquelles Madagascar a adhéré. Nous ne produisons pas assez, et en matière de normes, nos produits ont encore des efforts à faire. Ce qui va tuer notre économie nationale.
Concrètement, quels sont ces « contraintes de compétitivité » ?
A ne pas oublier que pour qu’une nation soit compétitive, il faut déjà que le contexte institutionnel local permette une saine concurrence et une émulation entre les entreprises dans le pays. Un environnement politique et législatif suffisamment stable est également requis pour attirer les investissements étrangers et permettre un développement inclusif et durable. Des paramètres qui ne sont pas encore au rendez-vous, en ce qui concerne Madagascar. L’instauration d’un climat de confiance entre les investisseurs, le secteur privé, la justice et l’Etat s’avère incontournable.
Qu’est-ce qui vous empêche de le faire ?
Nous déplorons la présence d’une corruption active et des passedroits au niveau des administrations discales et la douane.Il n’y a pas de réelle sanction contre les fonctionnaires et les personnes indélicates. A part ça, il nous est difficile d’avoir une prévision à cause de la concurrence directe avec l’Etat, dont le rôle se limite – normalement – à celui de régulateur et de coordonnateur. Il y a deux ans, il a créé le State Procurement of Madagascar qui opère dans l’approvisionnement du marché national en produits de première nécessité (PPN) et en carburant. A l’instar du programme ODOF (One District, One factory), il y aussi l’importation etl’implantation directe d’unités de production concurrençant les initiatives d’investissement privées. Les leçons du passé, notamment les fameux «éléphants blancs» de la 2ème République, nous montrent que cette politique est fatale pour le secteur privé. Nous empruntons et nous endettons auprès des banques pour créer des entreprises, et tout d’un coup, l’Etat vient en concurrent. Ce qui nous met dans une position plus qu’inconfortable.
Pouvez-vous faire un état des lieux de l’entrepreneuriat malgache ?
Nous notons la défaillance du secteur énergétique. Le coût élevé de l’électricité et la faible qualité du service de la compagnie nationale tuent l’industrie malgache. En matière de transports, la défaillance du secteur aérien est désolante. A cela s’ajoute la faiblesse des infrastructures routières, notamment des routes de desserte pour dégager les matières premières et les produits, ainsi que ferroviaires. Il n’existe pas de transport multimodal. Améliorer la composition des dépenses publiques pour les orienter vers les infrastructures s’avère primordial. En face, le marché local se définit par le faible pouvoir d’achat des consommateurs. Il faut le reconnaître, ils ne sont pas connaisseurs et sont très peu exigeants. En face, les organisations des consommateurs ne disposent pas de force et très peu exigeantes quant à la qualité des produits offerts sur les marchés. Ça rejoint ce que j’ai dit, Madagascar deviendra le déversoir des produits de mauvaise qualité des autres pays.
Disposons-nous de mains d’œuvre de qualité pour affronter ce marché ?
C’est un des points sur quoi Madagascar devrait faire un effort. Pour y parvenir, il est nécessaire d’améliorer le système éducatif, de penser à l’amélioration de la formation professionnelle sur les compétences attendues par l’industrie et les services, et aussi de la modernisation et la démultiplication du nombre d’écoles de formation de techniciens et d’ingénieurs. Malheureusement, les actions vont dans le sens contraire. Pour nous, c’était une grande erreur de supprimer le Centre national de formation professionnelle artisanale et rurale (CNFPAR). Pour le bien du secteur privé, des formations sur mesure sur les normes sectorielles spécifiques relatives aux accès aux marchés. Le langage classique veut que Madagascar dispose de grands potentiels. Ce n’est pas faux, mais il faut que ces potentialités deviennent des réalités. Madagascar doit pouvoir offrir des produits et services concurrentiels et de qualité sur les divers marchés.
Propos recueillis par Solofo Ranaivo