La consommation d’alcool pendant la grossesse entraîne des conséquences graves sur le développement de l’enfant. Il y a urgence à sensibiliser sur ce fléau, assurent Thierry Maillard, médecin addictologue et président de la SAF océan Indien, et Vahinisoa Rasamoely, membre de l’Association pour la sauvegarde et la protection de l’enfance.
On pense souvent que deux ou trois verres d’alcool n’ont pas de conséquences sur le futur bébé. Un geste qu’il faut pourtant éviter lorsqu’on est enceinte car derrière se cache le spectre du syndrome d’alcoolisation fœtale (SAF) qui touche chaque année dans le monde environ 1 500 enfants.
Selon le Dr Thierry Maillard, il est possible qu’une femme enceinte boive deux ou trois verres avec des conséquences sur le fœtus tandis que d’autres peuvent boire davantage sans conséquences sur le futur enfant. « Si l’on consomme de l’alcool, l’enfant boit également car cela passe dans le sang de la mère et le sien. Il aura le même taux d’alcool, mais comme il est en train de se former, il n’est pas prêt à cela et l’élimination met plus de temps. »
L’alcool est un toxique qui a des impacts sur les cellules entraînant des malformations et des atteintes au niveau du cerveau et du cœur, ce qu’on appelle le syndrome d’alcoolisation fœtale.
Les symptômes ont été décelés par l’Institut de médecine de Washington aux États-Unis en 1996 et confirmés en 2005. Les formes les plus répandues sont l’hydrocéphalie, une anomalie neurologique sévère, les troubles du comportement et la déficience intellectuelle…« L’enfant paraît normal à la naissance mais au fil du temps, on constate un retard dans le développement. Il s’exprime plus tardivement, il va marcher avec un peu de retard, il développe de l’hyperactivité et accuse des problèmes de mémoire et de concentration… » À Madagascar, on estime à10 000, chaque année, le nombre de naissances présentant les caractéristiques de la SAF. Malheureusement, peu d’études sont menées sur ce syndrome à Madagascar alors que l’alcoolisme est un vrai fléau social. Celle réalisée au Centre hospitalier universitaire (CHU) de gynécologie obstétrique de Befelatanana, à Antananarivo, en 2020, a montré que le SAF constitue bien un problème de santé publique.
Une autre étude à Tana, conduite à l’Hôpital Mère-Enfant à Tsaralalàna, a montré que beaucoup d’enfants sont exposés à l’alcool in utero et environ 2 % d’entre eux sont atteints de SAF. « Nous sensibilisons sur cette problématique à Madagascar depuis 2005 et nous intervenons régulièrement à travers notre association SAF océan Indien. Il y avait une attente des professionnels de santé qui nous ont invités, parce que les conséquences de la consommation d’alcool pendant la grossesse étaient méconnues ici. » Au-delà des troubles physiques, les troubles du comportement présentent un réel danger pour les enfants et la société. Comme le précise Vahinisoa Rasamoely, magistrate et membre de l’association pour la Sauvegarde et la protection de l’enfance, les enfants qui présentent le SAF font souvent grossir les chiffres de la délinquance. « Dans les centres comme Anjanamasina ou dans les prisons pour mineurs, on rencontre des enfants qui reviennent trois ou six fois pour les mêmes motifs, et beaucoup sont atteints du SAF. »
Il est donc important de mener des campagnes de prévention car le SAF peut être évité. Le personnel de santé doit être formé car il n’y a pas assez de sensibilisation durant les consultations.
« Beaucoup de femmes malgaches sont mal ou pas du tout informées et trouvent souvent comme excuse le ratsina toaka, l’alcool pour tuer les angoisses. » Cette lutte contre la consommation d’alcool pendant la grossesse est aussi la responsabilité de l’entourage, des industriels et des lieux où l’on vend de l’alcool… « Nous sensibilisons les écoles pour dépister les enfants et repérer les situations difficiles », précise Dr Thierry Maillard. « Cette année, nous voudrions organiser une conférence sur ces problématiques et sur l’addiction en général. Avec tous les problèmes du comportement qui en découlent, l’enfant tendant à être en difficulté à l’école, à se retrouver à la rue et souvent en exclusion sociale. La moitié de ces enfants sont des récidivistes. Les mettre en prison n’est pas la solution puisqu’ils sont malades, voilà pourquoi il faut dépister le plus tôt possible. »
Propos recueillis par Aina Zo Raberanto