10 - Mais la sorcière, je me demande si c’était une rencontre qu'elle attendait avec impatience. Elle arborait une attitude triomphante, affirmant sa supériorité sur nous. Son torse bombé, elle se rapprochait dangereusement, mais cela n'ébranlait pas notre guide. Par contre, d'un murmure, il nous conseillait de ne pas croiser son regard. Puis, avec un brin de regret, il soulignait notre faiblesse sur le plan spirituel, une vérité que la sorcière semblait connaître. Les mots du guide me piquaient légèrement, et intérieurement, je lui répliquais qu'il n'y avait aucun lien avec la force spirituelle. De toute évidence, elle était bien plus puissante que nous. Même si elle le voulait, elle aurait pu nous paralyser à une distance bien plus grande, peut-être même à 50 mètres. Son aura était réellement écrasante. Revenu à la réalité après ce moment de distraction, je constatai que la femme se rapprochait de plus en plus, nous faisant avancer vers elle involontairement.
«Ne la fixez pas dans les yeux, et ne fuyez sous aucun prétexte, » recommandait une nouvelle fois notre jeune guide.
La distance entre elle et nous se réduisait à quelques pas. La lampe torche entre les mains de notre compagnon n'avait plus d'utilité, il ne parvenait même plus à la tenir correctement, le faisceau de lumière s'égayant maladroitement vers le sol. On été submergé par une terreur trop grande, et le guide tentait de nous distraire en nous racontant une énigme, mais sincèrement, je n'entendais pas un mot de ce qu'il disait. Mon esprit était ailleurs. Je ne pensais qu'à une chose : que nous réservait l'avenir ? Allions-nous périr ici ? Le moment était-il venu, la fin inéluctable ?
Le moment fatidique arriva. La sorcière était là, face à nous. Elle agissait comme prise d'une rage incontrôlable, balbutiant, s'affolant, tendant sa main comme pour nous saisir entre ses griffes. Elle était toute proche, à quelques centimètres de moi. C'était la seule fois où j'avais été aussi près d'une sorcière en pleine action. Évidemment, je n'osais pas la regarder, mon regard fixé sur le sol. Mais elle était là, tout près. Le guide, lui, restait imperturbable, sans broncher. Pressée de nous saisir, la sorcière finit par parler d'une voix effroyable :
« Où crois-tu aller comme ça ? s'adressant à l'autochtone. » Je te jure, un jour je t'aurai. À ce moment, tu ne seras qu'une bouchée pour moi."
Notre guide répondit d'un ton calme :
« tu as du culot de te balader ainsi dénudée en pleine nuit. Ne nous dérange pas, va et occupe-toi de tes affaires. »
À ces mots, la sorcière s'écarta de notre chemin, mais elle semblait se battre intérieurement pour ne pas nous toucher.
«Si c'est ce que tu veux, mais donne-moi au moins tes camarades,» insista-t-elle après quelques secondes de lutte.
Je vous le dis, le fait de s'évanouir n'est sûrement pas régulé correctement, car normalement, j'aurais dû m'effondrer sur place avant de perdre connaissance, tant j'avais peur. Quitter le présent semblait être la protection que mon corps aurait dû mettre en place. Mais non, mon corps refusait de tout débrancher. Je subissais cette peur, probablement la plus grande que puisse ressentir un être humain. C'était tellement difficile, c’est un autre niveau de vivre une telle situation. Je garderai probablement ces tourments jusqu'à la mort. Les conséquences de cette peur traumatique ne s’effaceront certainement jamais.
« Donne-les-moi, » insistait la sorcière avec sa voix effrayante et ses gestes d'exorcisme.
J'aurais voulu pleurer, mais même mes larmes m'avaient abandonné, me laissant totalement seul avec ma terreur.
11- Notre guide, face à la sorcière qui nous avait dépassés et se profilait désormais derrière nous, se résolut à lui faire face et lui dire :
« Va-t'en, tu ne pourras pas les avoir, pars, trace ta route ! »
Cependant, l'entêtement de la sorcière ne connaissait pas de limites. Malgré les avertissements, elle persista à tenter de saisir la nuque de mon compagnon. Au moment où sa main allait accomplir cet acte, une réaction de sursaut coordonnée entre mon ami et moi-même surgit, comme si nous avions tous deux aperçu un serpent venimeux entre nos jambes. L’effroi nous enveloppa encore plus. Mon compagnon semblait déjà résigné lorsque le jeune autochtone l'empêcha de devenir la proie maudite de la sorcière. Soudain, il poussa un cri en prononçant ces mots :
« Ose donc, si tu veux goûter aux lames de Fotsilela (littéralement : la lame blanche) » !
La sorcière s'immobilisa instantanément, reculant d'un pas. Nous la scrutâmes, inquiets, tandis qu'elle reprenait sa route en reculant, nous lançant d'un ton méprisant :
« Vous n'êtes que des enfants qui ne savent même pas encore marcher et vous voulez déjà courir. »
Ces paroles semblaient s'adresser à moi et à mes camarades. Ironiquement, elle avait totalement raison. Après cette réprimande, elle s'éclipsa, nous laissant cloués sur place. Sans perdre de temps, le guide nous exhorta à reprendre la marche, nous entraînant dans son sillage. Après quelques pas, je sentis peu à peu le poids de la terreur se dissiper. Moi qui n'avais plus le contrôle sur mon corps, je récupérais lentement mes esprits. Nous poursuivîmes notre périple, empruntant un détour et pénétrant une petite forêt. Au contact du sol, un bruit assourdissant résonna, évoquant le tumulte d’ un joueur de rugby se ruant à toute allure pour percuter son adversaire.
« Qui est-ce ? » interrogea notre guide.
En guise de réponse, un homme imposant, à la peau mate, dénudé, enhuilé et dégageant une force herculéenne, surgit devant nous.
« Ne faites pas attention à moi, que chacun suive sa route » déclara simplement le sorcier en poursuivant sa course sans même nous décocher un regard.
Avant que nous n'ayons pu assimiler la scène, cet étrange personnage s'était déjà fondu dans la distance derrière nous. Il nous restait quelques mètres à franchir et nous serions arrivés. Nous avons donc poursuivi sans dire grand-chose de plus.
« Eh bien, vous avez vu de vos propres yeux des sorciers » nous confia notre guide, alors que le village de notre destination se dressait enfin devant nous.
Nous restâmes muets, devant la porte de ce village, plongés dans la perplexité. Tout était entremêlé, mais nous étions venus en quête de l'inexpliqué, et nous avions été servis. Durant cette expédition, nous avions vécu bien plus que ce que mes mots pouvaient décrire, mais ayant amorcé mon récit avec la promesse de vous emmener dans le royaume des sorciers, je m'en tiendrai à cela et vous laisserai sur cette note : « Les sorciers existent, j'en ai vu. Je vous ai raconté toute la vérité sur ce que nous avons vécu lors de cette aventure nocturne.»
Les faits relatés dans les histoires sont réels et ont été vécus par les narrateurs.