De la musique à la culture, il n’y a aucune distinction. En 2006, le groupe Naïnako a été créé. Sur une même scène, ils sont musiciens, danseurs, chanteurs, tous originaires de la région Androy, à l’extrême sud de Madagascar, et ils mettent en avant leur origine. Ils ont, grâce à la musique traditionnelle, animé de grands événements du pays : Gladys Razafindramanana, chanteuse, danseuse et musicienne, Stephano Rachel Rasolonomenjanahary, musicien, et Judickael Matthieu Hasambarana, percussionniste, chanteur et danseur. Menés par Naïnako Longonay, ils font le tour du monde en tenues traditionnelles, avec leurs instruments : du Langorombe, du Marakasy, du Betrehake, du Marovany, un Lokanga, et une Mandolina.
De l’Androy aux Etats-Unis ?
Naïnako signifie « mon désir ». J’ai toujours voulu faire de l’art, mais j’ai été quelque peu limité par mes parents, par un aspect religieux. J’ai commencé avec la chorale de notre église. À huit ans, je suis allé dans la capitale de l’Androy, à Ambovobe, pour une compétition : de grands noms de l’époque y étaient. Et surprise, nous avons gagné ! Nous sommes partis aux Etats-Unis, et c’est là que j’ai commencé à découvrir le monde. Une fois revenus, nous nous sommes lancés, avec l’aide de mon oncle, mais toujours dans la chorale. En grandissant, j’ai continué mes études à Antananarivo, et à ce moment-là, j’écrivais déjà beaucoup. En 2006, à Ankatso, j’ai créé une chanson « Mamako » (Ma mère) en souvenir de ma mère dont le décès m’a fait mal. Et Terakaly a découvert cette chanson, l’a achetée, et elle a eu énormément de succès. Il n’a rien changé. C’est à cette époque-là également que j’ai écrit « Molia Malaky », (Rentre vite) que Brillante a interprétée, et qui a aussi beaucoup fait parler. Là, je me suis rendu compte que les chansons que j’écrivais avaient du succès, alors je me suis dit : « Il est temps de fonder le groupe Naïnako. » Mais j’ai décidé de rester dans le traditionnel, sous les conseils de grandes personnes comme Tearano.
L’Androy, une terre musicale…
Le groupe Naïnako se concentre sur la musique traditionnelle d’Androy comme le Beko, le Rodoringa ou le Tsinjabe. Ce sont des genres qui ne sont pas très communs, bien qu’on en entende souvent parler. Pour détailler un peu plus, le Rodoringa est la musique Atandroy avant le fameux « ringa », une lutte : en pleine lune, tous les jeunes des quatre coins de l’Androy se réunissent autour du ringa, et avant que le combat ne commence, les jeunes filles tapent sur leur « aponga » (tambour) tout en encourageant leur combattant, et celui-ci va danser. Cette pratique est faite pour célébrer l’effort de ces jeunes. Le Beko est la musique utilisée pour soulager la douleur : lors de funérailles, par exemple, le frère du mort parle de sa vie, de ses accomplissements, les bonnes comme les mauvaises. Et une fois tout le monde réuni, l’artiste chante la vie du défunt, en finissant par consoler ses proches en disant que nous ne sommes pas les maîtres de la vie. Le Tsinjabe est la danse qui réunit tous les Atandroy : elle est la même partout.
Entre musique et idées reçues…
Ce sont des pratiques dont l’interprétation n’est pas connue ou a été modifiée par la nouvelle génération. Mais heureusement, nous avons une association des artistes d’Androy où nous pouvons échanger et apprendre ensemble. Je vous parlais de chorale, mais c’est différent de ce que l’on voit dans la capitale : chacun avait une façon de chanter, conforme à leur tradition, et selon leur origine. Quand, plus jeune, nous avons reçu la visite de chorales d’Amérique et de Genève, j’ai remarqué qu’elles aussi, gardaient leurs coutumes. Et c’est cela qui m’a motivé à rester près de mes racines, en sachant que grâce à cela, je pouvais aller loin.
Percer à Madagascar et à l’international, quels efforts ?
Faire de la musique est mon métier, je ne vis que de cela, donc il faut toujours trouver un moyen, sinon je ne mange pas. Les autres membres du groupe ont leur travail respectif, mais nous nous exerçons toujours. Récemment, nous devions aller au festival de Douala au Cameroun : c’était une opportunité pour rencontrer des producteurs et nous avions nos dossiers déjà prêts. Malheureusement, nous n’avons pas trouvé les moyens pour payer le voyage, et les grands festivals ne financent plus le déplacement. J’ai donc décidé, plus tard, avec mon équipe, d’allouer une partie de l’argent reçue dans les tournées pour les prochaines occasions comme celle-ci. De même pour un festival en Tanzanie, mais je garde nos dossiers prêts, tout en restant toujours professionnel, parce que tout cela joue énormément. Un seul voyage peut nous permettre de vivre pendant environ un an. À côté, je propose également des ateliers, là où je vais. Surtout, je réunis des contacts, et grâce à cela, je transforme un concert en trois mois. Une petite anecdote : nos instruments et nos tenues font parler d’eux aussi, et les spectateurs nous suivent parfois dans plusieurs concerts, pour pouvoir ensuite les acheter.
Les prochaines tournées ?
En ce moment, nous sommes en train de nous préparer pour trois festivals en 2025 : Afrika Festival Herthme à Amsterdam, Roskilde au Danemark, et Nuit d’Ottignies en Belgique. Sept concerts sont également prévus à Paris, et nous sommes en attente de confirmation de notre nouveau producteur pour les prochaines tournées, et un nouvel album. Ce sera notre deuxième album, après « Lilindraza », il y a quelques années. À Madagascar, il est possible de vivre de la musique si l’on arrive à obtenir des contrats pour les foires internationales, en travaillant avec les entités internationales, ou en animant des fêtes. Mais ici, ce qui ne me convient pas tellement, c’est l’association de la culture à la politique : c’est un sujet assez chaud, surtout pour nous, à Androy.
Mettre en avant la culture ?
Notre musique met en avant les messages de nos ancêtres. Tout le monde a son origine, les leçons données par les aînés et dont ils sont stricts. Tout le monde devrait avoir son propre document, pour que la génération future connaisse les « fady » (interdits), ce qu’il faut respecter, le savoir-vivre en communauté. Cela n’empêche pas l’évolution, mais tout en respectant les fomba (coutumes) et traditions. Et c’est cette culture qu’il faut à tout prix préserver. Il faut voir cet aspect culturel de très près, pour qu’elle n’aille pas dans un autre sens. Il n’y a qu’elle qui fait d’une nation, une nation. Et pour cela, chacun doit connaître sa terre, les choses qu’il faut respecter et protéger. Souvenez-vous de cela : une nation qui ne fait pas attention à sa culture est une nation en perdition.
Propos recueillis par Rova Andriantsileferintsoa
Numéro : 0341172051
Facebook : Naïnako