Le rugby, un miroir de la société malgache
3 mars 2025 // Photographie // 1811 vues // Nc : 182

Le rugby, sport collectif par excellence, vibre au cœur de Madagascar. Introduit à la fin du XIXe siècle, il a transcendé son statut initial de sport d'élite pour devenir un véritable phénomène social, profondément ancré dans les quartiers populaires. Plus qu'un simple jeu, le rugby est devenu un reflet des réalités sociales, un terrain d'expression, d'ascension et d'espoir pour de nombreux Malgaches.

À ses débuts, le rugby à Madagascar opposait les fils de colons aux jeunes Malgaches. Cette mixité, loin d'être idyllique, a conduit à une séparation. Les joueurs issus des milieux populaires, animés par leur force et leur détermination, ont créé leurs propres clubs, renforçant paradoxalement l'ancrage du rugby dans leurs communautés et le transformant en un puissant symbole d'identité.
Aujourd'hui, les écoles de rugby sont bien plus que des lieux d'entraînement. Elles sont des creusets où se forgent des destins, offrant aux jeunes des quartiers populaires une voie d'émancipation. À travers des témoignages poignants, nous découvrons l'impact transformateur du rugby sur ces vies.

Voici quelques histoires inspirantes de joueurs de rugby, certaines anonymisées pour des raisons de confidentialité.

Texte et photos : ZanakyNyLalana

Rapaky : Né à Manjakaray, berceau du rugby malgache, Rapaky, de son vrai nom : Ramamonjisoa Lahatra Fiononana, 30 ans, a grandi baigné dans l'ovalie. Ancien capitaine des équipes nationales à VII et XV, il est aujourd’hui joueur et éducateur, mais n’en fait plus partie, il incarne les valeurs du rugby : respect, solidarité et discipline. Pour lui, ce sport est une école de la vie qui permet de s'épanouir et d'offrir des perspectives aux jeunes.

Depuis 2019, il se consacre à la formation des jeunes et à la promotion du rugby à Madagascar. Membre de l'association Ovalie Mora Mora, il milite pour un rugby éducatif accessible à tous et insistant sur l'importance de la réussite scolaire. Malgré les succès, Rapaky déplore le manque de médiatisation et souhaite faire connaître ce sport au grand public.

Titinah : Titinah, 12 ans, dernière d'une fratrie de quatre, a dû plaquer ses études. Son père décédé, sa mère, alcoolique, Titinah a arpenté les arrêts de bus, tendant la main dans les taxis-be pour aider les siens. « Je mendie dans les taxi-be pour aider ma famille », lâche-t- elle, le regard baissé.
Mais depuis qu'elle a découvert le rugby en 2023, sa vie a pris un nouveau tournant. Sur le terrain, elle exprime toute sa détermination et son énergie.

« J’adore jouer au rugby, ça me permet d'avoir des amis, de m'amuser, d’apprendre », confie- t-elle, un sourire timide aux lèvres. Son éducatrice, Sousou, y voit déjà une future « avant » redoutable.

Gela : À neuf ans, Gela porte un regard bien plus mature que son âge ne le laisse supposer. Entre une mère alcoolique qui peine à joindre les deux bouts et la nécessité de mendier pour manger, son quotidien est lourd. Malgré ces épreuves, Gela a trouvé refuge dans le rugby, sur un terrain, elle rayonne. Chaque entraînement est une échappée belle. Le ballon ovale glisse entre ses mains, emportant avec lui ses soucis. « Je rêve de jouer en demi à l’étranger, » confie-t-elle, les yeux brillants d'espoir.

Titina : Titina, unique parmi ses frères et sœurs jumeaux, a grandi dans la précarité. Marqué par une enfance difficile, il s'est tourné vers la délinquance mineure pour survivre. « Avant, je volais de la volaille pour pouvoir manger », confie-t-il. Mais tout a changé lorsqu'il a découvert le rugby. Intégré à une équipe, il a trouvé une famille et un but. Grâce au sport, Titina est métamorphosé, excellant à l'école et laissant derrière lui ses anciennes habitudes. "Je suis premier de ma classe !", s'exclame-t-il fièrement, et rêve d'un avenir meilleur.

Rasta : « À 15 ans, la drogue m'a emprisonné. La rue m'a étiqueté. Mais le rugby m'a sauvé.»
Rasta, 23 ans, a connu les affres de l'addiction et de la délinquance, une accusation injuste l’a conduit en prison, où, le souvenir du rugby devient son seul réconfort. À sa sortie, il tente de renouer avec ce sport, mais l’addiction et l’influence persistent, puis un ultimatum de son entraîneur : « Soit le rugby, soit la drogue ! » a été le déclic décisif.

Aujourd'hui, militaire et rugbyman, Rasta a réussi à transformer son essai en coup d'envoi vers une nouvelle vie. « Le rugby a été mon sauveur en m’offrant une deuxième chance. », révèle-t-il.

Lame : À 8 ans, Lame découvre le rugby, un exutoire qui deviendra sa boussole. Les valeurs inculquées sur le terrain le marqueront à vie. Mais un tournant brutal interrompt cette trajectoire ascendante. Forcé d'abandonner l'école à 14 ans, il se retrouve confronté à la rue puis à l'injustice d'une erreur judiciaire. L'enfer carcéral aurait pu le briser. Pourtant, c'est paradoxalement derrière les barreaux qu'il retrouve les repères perdus.

Les valeurs du rugby, qu'il croyait lointaines, deviennent alors son fil d'Ariane dans l'obscurité. De retour dans son quartier, il est accueilli avec bienveillance par sa communauté, consciente des épreuves qu'il a traversées.

Devenu père et commerçant, Lame est un homme transformé. Il témoigne : "L'école de rugby m'a donné les clés de la résilience. Le rugby, c'est ma philosophie. »

Gagà : De l'ovalie à la rédemption, Gagà, âgé de 26 ans, est tombé dans l'héroïne pendant la pandémie de COVID-19, échangeant les terrains de rugby contre les rues de la drogue. Né dans un quartier difficile, le rugby est devenu son refuge dès l'adolescence. Mais les sirènes de la drogue l'ont rapidement rattrapé, le plongeant dans un cercle vicieux de dépendance et de délinquance. « J'étais pris au piège », confie-t-il.

C'est finalement grâce au rugby et au soutien de ses éducateurs qu'il a réussi à se relever. « Le sport m'a sauvé », assure-t-il. Sobre et en emploi, désormais Gagà est un exemple de résilience. Le rugby, bien plus qu'un sport, est devenu son mode de vie.

Madame Oliva : Robiarilala Hanitra Oliva, 49 ans, a perdu une partie d’elle-même avec son mari. Mais elle a hérité de bien plus : une école de rugby et une mission. A Andavamamba, où la rue guette, son école est un refuge. « Ici, le ballon ovale est un vecteur d'éducation, de valeurs et d'espoir. »
Oliva a repris le flambeau avec passion et détermination, transmettant les valeurs du rugby à une centaine de jeunes, avec le soutien de ses enfants et de l'association Ovalie Mora Mora.

Parmi eux, cinq orphelins ont trouvé une famille chez elle. Pour Oliva, le rugby est bien plus qu'un sport : c'est une source de vie et d'espoir, dont elle est fière de partager les bienfaits.

Rakay : « On m'a dit que le rugby et maternité étaient incompatibles. » Rakay lève un sourcil, un sourire ironique aux lèvres. À 23 ans, cette jeune maman de deux enfants défie les clichés et les préjugés. Passionnée de rugby depuis toujours, Rakay a troqué ses week-ends festifs contre un engagement sportif. Intégrée dans une école de rugby où règnent la camaraderie et l'esprit sportif, elle a découvert une force insoupçonnée. Le rugby lui a offert un cadre structuré et des valeurs qui ont transformé sa vie.

Son ambition ? Briller en trois-quarts centre, un poste exigeant qu'elle embrasse avec ardeur. « Ça demande technique et physique, mais j’adore le défi ! »

Miora : « J'ai toujours aimé le rugby. J’ai commencé à manier un ballon ovale à 8 ans. » commence Miora, mère célibataire de deux enfants, un sourire au visage.
Obligée d'interrompre ses études dès la 3ème, Miora jongle entre les responsabilités de la vie quotidienne et sa passion pour le rugby.
« Les épreuves de la vie m'ont forgée, mais grâce au rugby, au soutien de mes coéquipières et éducateurs, je me suis toujours relevée. Ce sport m'a transmis des valeurs que je souhaite transmettre à mes enfants et continuer à incarner sur le terrain. »

Baba : De ses débuts sur les bancs de l'école à son rôle d'éducateur, Randrianarijaona Solofoniaina Toky, plus connu sous le sobriquet de "Baba" n’a cessé de promouvoir le rugby, un sport souvent décrié, en vecteur d'ascension sociale. « Enfant, je cachais à mes parents que je jouais au rugby, jusqu’au jour où une autorisation parentale m’a été nécessaire pour un match international à La Réunion. »

Quadragénaire, il se souvient de ses débuts en tant qu’éducateur, il y a plus de vingt ans : « Un seul ballon pour une centaine d’enfants, c’est étonnant que j’aie pu en éduquer autant ! » Avec peu de moyens mais beaucoup de cœur, il a façonné des champions, sur le terrain comme dans la vie, instillant des valeurs fortes. L'initiative a permis à 80 % des jeunes formés de franchir le cap de l'insertion professionnelle. Soutenu aujourd’hui par Ovalie Mora Mora, il met en avant l’impact du sport sur l’épanouissement personnel et social.

Rakoto : Pilier et capitaine, au sens propre comme au figuré, Andriarison Ezyeckel, 35 ans, a été imprégné des valeurs du rugby depuis son enfance. Ces valeurs ont façonné l'homme qu'il est aujourd'hui.
« Le rugby, c'est la vie », assure-t-il avec conviction. C’est l’école de vie qui lui a appris à surmonter les épreuves, à grandir dans la victoire comme dans la défaite, toujours soutenu par l'esprit d'équipe. « Malgré les épreuves, le rugby a toujours été mon moteur. »

Aujourd'hui, il a construit une vie simple et heureuse, entouré de ses proches. Et quand on l'interroge sur son attachement viscéral au rugby, il répond avec un sourire : « C'est une famille. On se bat sur le terrain, mais en dehors, on est des frères. »

Berthin Zoto : « Le rugby est ma religion », affirme avec conviction Joseph Berthin Rafalimanana, affectueusement surnommé Berthin Zoto ou encore « Pape du rugby africain ».
Fondateur des premières écoles de rugby sur l'île, Zoto a formé des générations de joueurs et d'entraîneurs, insufflant une approche pédagogique rigoureuse et bienveillante. Sous sa direction, l'équipe nationale a remporté de nombreuses victoires, dont une historique face à l'Afrique du Sud en 2005 et le sacre africain de 2012.

C'est à lui que l'on doit le célèbre surnom "Maki", symbolisant l'agilité et l'intelligence des joueurs malgaches.
Auteur de plusieurs ouvrages, Zoto a théorisé une approche pédagogique unique, transmise à de nombreuses générations. Son héritage perdure grâce à ses anciens élèves, qui perpétuent sa vision du rugby : un sport basé sur l'éducation et la formation des jeunes.

Un avenir à bâtir : À Madagascar, le rugby est un véritable levier d'ascension sociale. Les écoles de rugby, véritables pépinières de talents, inculquent des valeurs fondamentales et forment des citoyens responsables. Des initiatives comme Ovalie Mora Mora renforcent cet élan. Pour pérenniser cet héritage, il est crucial de structurer davantage les écoles de rugby et de favoriser une synergie entre sport et éducation, construisant ainsi une société plus juste et solidaire. L'avenir du rugby malgache réside dans cet équilibre entre excellence sportive et réussite scolaire.

Laisser un commentaire
no comment
no comment - Un mois dédié au théâtre à Antananarivo

Lire

10 mars 2025

Un mois dédié au théâtre à Antananarivo

L’Alliance Française d’Antananarivo et l’Institut Français de Madagascar, en collaboration avec la Compagnie Miangaly Théâtre, célèbrent le théâtre so...

Edito
no comment - Earth Hour pour la Planète

Lire le magazine

Earth Hour pour la Planète

Beaucoup plus discrète que l’iconique Journée du 8 mars sans pour autant être un combat moins pertinent, le 22 mars reste une journée ou plutôt une soirée à noter dans son agenda. En effet, de 20h30 à 21h30 cette soirée-là marquera une célébration des plus simples, mais des plus symboliques. Durant une heure, tout le monde sera invité à éteindre la lumière et couper les appareils électroniques non essentiels, en réponse à deux doubles urgences : celle du changement climatique et celle de la perte de biodiversité.
Madagascar est doublement impacté, dans la mesure où nous sommes un écosystème à part entière et l’un des premiers pays où l’on voit la conséquence du changement climatique. Au-delà de cette célébration pour le moins assez particulière je vous l’accorde, c’est tout un combat qui doit être réalisé par tout un chacun afin de réaliser un véritable changement.
Limiter sa consommation de charbon de bois, ne pas jeter ses détritus n’importe où ou encore privilégier le recyclage, voilà des petits gestes qui valent beaucoup. Chers lecteurs, soyons le changement que nous voulons voir !

no comment - mag no media 11 - Mars 2025

Lire le magazine no media

No comment Tv

Making of Shooting mode – Tanossi, Haya Madagascar, Via Milano – Août 2024 – NC 175

Retrouvez le making of shooting mode du no comment® magazine édition Août 2024 – NC 175

Modèles: Mitia, Santien, Mampionona, Hasina, Larsa
Photographe: Parany
Equipe de tournage: Vonjy
Prises de vue : Grand Café de la Gare, Soarano
Réalisation: no comment® studio
Collaborations: Tanossi – Via Milano – Haya Madagascar

Focus

Lancement de la saison culturelle de l’Alliance Française d’Antananarivo

Journée portes ouvertes et lancement de la saison culturelle de l’Alliance Française d’Antananarivo à Andavamamba, le 08 Février.

no comment - Lancement de la saison culturelle de l’Alliance Française d’Antananarivo

Voir