RioTinto QMM : Quand l’eau ne paye pas de mine
6 février 2020 // Photographie // 455 vues // Nc : 121

QIT Minerals Madagascar (QMM), filiale de RioTinto, est accusée de contaminer la source d'eau des riverains de sa mine ainsi que de la capitale de la région Anosy. Après des cas de poissons flottants à la surface du lac, des rapports sur la mauvaise qualité de l’eau et du bétail qui meurt après l’avoir bue, il fallait enquêter.

L’usine ambulante d’extraction fait 60 m de long et 40 m de large. Elle est bien visible et audible de loin.

À Tolagnaro (Fort-Dauphin), un bail d'exploitation minière d’une durée de cent ans  d'ilménite – un minerai de titane très utilisé dans la sidérurgie – menace non seulement le bien-être de dizaines de milliers de personnes, mais aussi leur gagne-pain et le patrimoine naturel. Les opérations de RioTinto QMM ont commencé en 2005 lorsque la mine est autorisée à extraire 6 000 hectares de forêt littorale. Pour cette première phase (Mandena), elle opère dans un environnement naturel fait de marécages, lagunes, rivières, mais aussi de trois lacs (Ambavarano, Besaroy et Lanirano) et d’une embouchure vers l'océan Indien. Le lac le plus au sud de ce système d'eau naturel (Lanirano) est précisément la source d'eau potable de Tolagnaro.

La digue de sable protectrice au fond, les bébés Niaoulis et la zone de suintement au milieu, et le bord du lac Besarohy devant. Cette eau suspecte provient de la zone d’extraction.

Pour cette première phase (Mandena), elle opère dans un environnement naturel fait de marécages, lagunes, rivières, mais aussi de trois lacs (Ambavarano, Besaroy et Lanirano) et d’une embouchure vers l’océan Indien. Le lac le plus au sud de ce système d’eau naturel (Lanirano) est précisément la source d’eau potable de Tolagnaro.

Comme la mousse d’une vieille bière, le suintement provenant de la zone d’extraction surgit du sol.

À 10 kilomètres de la ville, un village de pêcheurs, Andrakaraka, s’étend juste en face des installations de RioTinto QMM, entre le lac Besaroy et l’océan. À notre arrivée, au matin, un épais brouillard s’est installé alors que les villageois commencent à sortir de leurs huttes et de leurs maisons en dur. L’exaspération des villageois est évidente, comme le montre le nombre de plaintes déposées auprès des autorités concernant les effets de l’exploitation minière sur leur quotidien.

Afin d’extraire les minéraux, RioTinto QMM doit dégager les arbres, inonder le terrain puis le draguer. Pour contrôler le débit d’eau, les ingénieurs ont construit un déversoir de 196 mètres à travers l’embouchure, bloquant l’eau de l’océan. Une fois les terres inondées, des étangs miniers sont créés et une énorme machine (60 m x 40 m), tirée par un bateau, est traînée le long du site pour extraire l’ilménite, le zircon et la monazite. Or, la législation malgache sur les opérations minières exige de maintenir une zone tampon non perturbée de 80 mètres à partir de tout plan d’eau naturel (1). En réalité, le déversoir qui a bloqué l’océan et le système d’eau a eu des ramifications.

Les villageois racontent comment, quelques mois après sa construction, les plantes aquatiques vivant sur le lit des lacs sont mortes. Ensuite, la couleur de l’eau a commencé à changer et les prises quotidiennes de poissons ont diminué. Pire, selon le témoignage de Racharles, un pêcheur de 32 ans, on serait passé de 40 espèces de poissons en 2005 à moins de neuf aujourd’hui. Enfin, le niveau d’eau des lacs s’est élevé du fait de l’exploitation, inondant les canaux des rizières et stoppant du coup la riziculture.

L’eau est un droit fondamental pour tous les êtres vivants.

En ce qui concerne les minerais extraits, il faut savoir que la monazite est le minéral le plus radioactif après l’uraninite, la thorianite et la thorite ; il peut être utilisé comme substitut de l’uranium dans la production d’énergie nucléaire. S’il est demandé d’éliminer ses résidus radioactifs à 15 mètres sous la surface, RioTinto QMM les a empilés pour construire une digue de 30 mètres de large sur 4 mètres de haut au-dessus de la zone tampon.(2)

Rosaly, 90 ans, a commencé sa journée à 5h du matin. Les poissons se font rares dans le lac. Après 2h de labeur, la pêche ne suffira même pas pour un petit déjeuner.

Les villageois déclarent que l’eau sale de la mine s’infiltre dans le lac. Nous avons donc loué une pirogue et nous nous sommes dirigés vers la zone tampon pour constater par nous-mêmes. On découvre un mur de sable qui ne se trouve pas à plus de cinq mètres d’un lieu de sépulture ancestral et à dix mètres du lac. Des mares d’eau blanche se sont formées entre les deux dont L’eau est un droit fondamental pour tous les êtres vivants.
l’une se déverse effectivement dans le lac. Nous avons recueilli des échantillons d’eau et sommes retournés au village.

Quelques pêcheurs restent tenaces et remontent quelques poissons. Les choses ont changé tellement vite au-delà de la capacité d’adaptation d’un simple paysan de la brousse.
D’autres pêcheurs se sont reconvertis en bûcherons.

Autour d’Andrakaraka, nous avons repéré des puits hors d’usage. Gistavy, un épicier de 30 ans et père de deux enfants, nous dit qu’ils ont été creusés par RioTinto QMM en 2012, mais comme ils produisaient de l’eau trouble non potable, ils ont été abandonnés. Lorsqu’on lui demande où il récupère l’eau potable, il indique la rivière située entre Besaroy et Lanirano, là où il croit que l’eau est la plus propre. Nous avons donc pris un échantillon de son eau potable.

La diminution des prises de poisson a contraint les jeunes d’Andrakaraka et des villages voisins à rechercher des alternatives plus rentables, à savoir la production de bois et de charbon de bois. Les kininy bonaky (Melaleuca quinquenervia), appelés aussi niaoulis, des arbres largement répandus ici, sont leur seul choix. Originaire d’Australie, il est particulièrement envahissant pouvant libérer jusqu’à 20 millions de graines à la fois. Ainsi, la croissance agressive du niaouli se fait au préjudice des plantes indigènes comme le mahampy (Lepironia articulata), un roseau très apprécié à Madagascar dans l’artisanat. La disparition du mahampy inquiète les villageois qui parlent de « sabotage». L’un d’eux pointe nommément RioTinto QMM : « Ils ont laissé tomber des graines de kininy bonaky en silence et ont dit aux gens que lorsque le kininy bonaky serait gros, il n’y aura plus de mahampy ! » (3)

Alors que notre séjour à Taolagnaro se terminait, nous avons décidé de vérifier une autre affirmation : RioTinto QMM s’était engagé à reboiser les terres de la mine avec 25% d’espèces endémiques et 75% d’eucalyptus et acacias. La plantation a commencé depuis longtemps, mais les villageois se méfient. « Ils cachent des choses au public », explique Rasôna, un charpentier de 29 ans. « Si vous passez sur leur route, vous voyez de grands arbres sur les côtés mais vous n’êtes pas autorisé à voir ce qui se trouve au-delà. Nous avons vu la destruction ! Seul le kininy (eucalyptus) se développe, mais il pousse mieux dans les endroits où il n’y a pas d’exploitation minière. Ils (RioTinto QMM) tentent de cacher ce phénomène en ajoutant une terre végétale riche en produits chimiques. »

Si le reboisement est en cours, c’est principalement de l’acacia et de l’eucalyptus. À Adrakaraka, quelques ménages ont des pépinières mandatées par RioTinto QMM avec des arbres endémiques sélectionnés, mais par rapport aux énormes quantités d’acacia et d’eucalyptus transplantées par RioTinto QMM, elles ne sont que quantité négligeable. Il faut aussi savoir que les plantes endémiques qui poussent dans la région ont toujours été la source de remèdes naturelles pour les habitants. Aujourd’hui, avec la raréfaction de ces plantes, un médecin de RioTinto QMM visite le village une fois par semaine, moyennant des frais.

Derrière l’usine de production de RioTinto QMM, des tuyaux déversent silencieusement de l’eau dans la jeune forêt voisine et rejoignent des canaux ouverts par la route. Nous avons également prélevé un échantillon de cette eau et quitté l’Anosy. Les quatre échantillons d'eau recueillis en aval de la mine ont été envoyés, via l'ONG Andrew Lees Trust (ALT) qui suit l'activité de la mine depuis ses débuts, aux États-Unis pour analyse, plus précisément au laboratoire de métaux ICP-MS (plasma à couplage inductif - spectrométrie de masse). Étaient adjoints cinq échantillons d'eau recueillis en amont de la mine, l’ensemble ayant été analysé pour 46 éléments et isotopes.

Et les résultats sont alarmants ! On relève des concentrations nocives d’aluminium, d’arsenic, de fer, de plomb, de manganèse, de thorium et d’uranium. La concentration moyenne de plomb en aval de la mine était de 0,0256 milligramme par litre (mg/L), comparativement à 0,0026 mg/L en amont, alors que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande un maximum de 0,01 mg/L dans l’eau potable. La concentration moyenne d’uranium dans les échantillons d’eau en aval était de 0,049 mg/L, soit 63% plus élevée que la recommandation de l’OMS (0,03 mg/L) et comparée au 0,00014 mg/L en amont. (4)

Si vous passez sur leur route, vous voyez de grands arbres sur les côtés, mais vous n'êtes pas autorisés à voir ce qui se trouve au-delà… Un poste de garde sur la route de la mine et un long mur d’eucalyptus comme pour cacher les choses.
Le programme de reforestation de Rio Tinto QMM. Quelques-uns des jeunes eucalyptus plantés sur les sites ravagés durant le processus d’extraction d’ilménite.

Les résultats montrent sans ambiguïté un impact néfaste de la mine Rio Tinto QMM sur la qualité de l’eau, alors que l’exposition à des niveaux élevés d’uranium dans l’eau potable sur une longue période peut affecter les reins et les os et produire des cancers. De même, l’exposition au plomb chez les enfants est dommageable au système nerveux et conduit à des déficiences physiques.

L’accès à l’eau potable est un droit de l’homme et l’activité de Rio Tinto QMM à Tolagnaro n’est pas conforme à ses engagements sur le papier en matière de développement durable. Que valent la vie, la santé, l’environnement face à l’ilménite ?

Nous avons contacté les responsables de communication de QMM Rio Tinto pour répondre à certaines de nos questions concernant les activités de la mine et les impacts environnementaux. Cependant, nous n’avons eu aucun retour de leur part.

(1) Code minier - Chapitre II - De la protection de l’environnement - Article 105
(2) ALT_UK_Emerman_Report_Buffer_Zone_Eng_2018
(3) Caroline Seagle - Journal of Peasant Studies, 2012
(4) Dr Steven. H. Emerman, Malach Consulting - Impact on Regional Water Quality of the Rio Tinto QMM Ilmenite Mine, SoutheasternMadagascar - November 2019.

Texte et photos : Zanaky ny Lalana

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