Noely Ratsimiebo : « Redonner une place significative au vivant dans notre culture et dans nos projets »
2 février 2025 // Arts Plastiques // 588 vues // Nc : 181

Du 22 au 23 février 2025, Noely Ratsimiebo, architecte et initiatrice de la sélection des artistes, invite le public à découvrir la toute première édition de la Biennale d'Art de Nahampoana, au cœur de la réserve naturelle de Tolagnaro. À travers des installations immersives, des artistes malgaches questionneront notre relation avec la nature et l’environnement sous le thème « Réactiver, Co-habiter, Éprouver ». Un événement unique où l'art, nourri par la biodiversité locale, se mêle à la beauté sauvage du paysage malgache.

"Nahampoana, entre jardin et climax"

Qu'est-ce qui vous a poussé à lancer la Biennale d’Art de Nahampoana ?
L'idée est née d'un constat : il y a un manque de débat sur les questions liées aux jardins, aux paysages et aux territoires ruraux face aux enjeux climatiques et sociétaux. Il est nécessaire de remettre en question les mythes liés à la nature, de repenser notre rapport au vivant notamment la manière dont les arbres sont souvent coupés dès qu'on entreprend un projet. Cette tendance à artificialiser les sols sans tenir compte des arbres et de la végétation qui sont essentiels à notre survie et à remblayer la terre révèle une vision réductrice de l'évolution, qui devrait plutôt respecter la nature.

Comment le thème « Réactiver, Co-habiter, Éprouver » s’est-il imposé ?
La réserve de Nahampoana, lieu historique, est le point de départ de ce thème. L’histoire des jardins, bien que riche, est rarement abordée. Ce qui construit une architecture, c'est la transversalité des sujets : sociologie, science, et la compréhension du lieu à travers diverses disciplines. En extrapolant, l’acte de construire pour un architecte doit interroger la relation entre la ville et le monde rural, tout en anticipant le monde de demain. Cela implique une résilience climatique et la volonté de construire non seulement pour survivre, mais pour être heureux sur cette terre. Ainsi, "réactiver" signifie mettre en lumière une histoire méconnue, mais essentielle pour comprendre notre environnement végétal. "Co-habiter" s'oppose à l'idée de protéger un territoire sous cloche, mais propose une véritable relation nourrissante entre l’homme et la nature. Quant à "éprouver", il s'agit de ressentir la beauté et d'accepter, au fond de soi, que la nature nous aide à assumer notre existence.

Pourquoi avoir choisi la réserve de Nahampoana comme lieu pour cet événement ?
La réserve de Nahampoana, par son histoire et sa richesse, est un lieu idéal pour révéler une dimension patrimoniale essentielle à la compréhension du futur. Ce cadre naturel, en parfaite harmonie avec les œuvres, permet d’offrir une expérience immersive et de donner un sens plus profond aux installations artistiques.

Le guide Dauphin, mémoire vivante du lieu.

Comment votre parcours d’architecte influence-t-elle cette Biennale ?
L’architecture m'a toujours permis d’interroger le rapport du corps à l'espace et de susciter une prise de conscience de notre environnement. Pour moi, l’architecture est un catalyseur de beauté, mais aussi d’éveil culturel. La transmission de la mémoire est fondamentale dans ma vision, car elle nourrit l’émerveillement et la compréhension du monde. Ce manguier centenaire, par exemple, n'est pas qu'un arbre : il incarne une mémoire collective. Sans cette connaissance, l’émerveillement serait incomplet. L’ancrage dans la culture et l’histoire est donc essentiel pour trouver la paix intérieure.

Quels sont les défis à organiser une biennale d’art dans une réserve naturelle ?
Le plus grand défi a été le financement. Heureusement, les artistes ont répondu positivement à cet appel, même si vivre de son art est une difficulté commune à travers le monde. La bienveillance et le partage ont été au cœur de cette aventure. L’engouement des artistes montre qu’il y a une véritable attente. Le défi maintenant est de voir si le public sera au rendez-vous.

Comment s'est déroulé le processus de sélection des artistes ?
Pour cette première édition, j'ai pris le rôle de curatrice et j'ai sélectionné les artistes malgaches qui m’ont marquée ces dernières années. Il y a une volonté de transversalité artistique, avec des plasticiens, photographes, architectes, paysagistes, mais aussi des créateurs dans des domaines comme la cuisine. Le choix a aussi été guidé par le désir d’œuvres permanentes, en lien avec le lieu. La Biennale sera un lieu de résidences artistiques continues.

Pourquoi avoir invité des artistes comme Dwa, Safidy Andrianantenaina et Temandrota ?
Dwa m’intéresse pour sa pratique du sketching, une forme de création instantanée. Son regard bienveillant et son amour du partage sont des valeurs que je souhaite mettre en avant. Temandrota, quant à lui, réalise une œuvre profondément liée à sa terre d'origine. Il y a une dimension presque mystique dans son travail, un devoir de rendre à la terre ce qu’elle lui a donné. Safidy, lui, parcourt des territoires reculés pendant des jours pour capturer des témoins silencieux de lieux oubliés, une démarche artistique qui rejoint l'aventure. Tous ces artistes, chacun à leur manière, apportent une grande audace à cette Biennale.

Pouvez-vous nous donner un aperçu des installations immersives prévues et de leur interaction avec l’environnement naturel de la réserve ?
Je préfère que vous veniez découvrir par vous-mêmes ! Cependant, le programme inclut des installations conçues pour s’harmoniser avec le lieu et en révéler les spécificités. Les œuvres sont immersives et visent à éveiller une conscience écologique à travers l’art.

Quels moments forts ou activités spécifiques attendez-vous des visiteurs, comme l'atelier participatif proposé par Dwa ?
Un moment unique sera la participation du musée Fort Flacourt, avec la reconstitution de scènes villageoises. Ce projet met en valeur les costumes et les coiffes ancestrales, en collaboration avec des stylistes contemporains. Cette fusion de l’histoire et de la création contemporaine sera fascinante. L’approche de Mélissa Venance par son attachement à la culture, ajoutera une dimension très particulière à cette collaboration.

En termes de logistique, comment avez-vous réussi à concilier la préservation de cet écrin naturel avec les besoins d’un événement artistique d’envergure ?
Les œuvres sont créées à partir de matériaux locaux. Les artistes seront en résidence, ce qui permettra une interaction directe avec les visiteurs et les habitants de Fort-Dauphin. Ce projet est soutenu par la ville et les opérateurs touristiques locaux, qui contribuent à garantir que l'événement soit respectueux de l’environnement et accessible à tous.

Quels sont les objectifs à long terme de cette Biennale pour la scène artistique et culturelle malgache ?
L’objectif est de créer un rendez-vous régulier pour les artistes, mais aussi de faire de Fort-Dauphin, un centre de résidence et de création. La ville, avec son littoral et sa richesse culturelle, est un lieu propice à ce type d’événements. Nous voulons éveiller un jeune public à la culture et lutter contre la négligence de ce qui constitue notre identité. La créativité doit être perçue comme un levier de développement durable, en lien avec l’environnement et le tourisme. Cette Biennale a vocation à unir ces trois secteurs : culture, environnement et tourisme.

Selon vous, comment la Biennale d’Art de Nahampoana peut-elle contribuer à repositionner Madagascar comme acteur culturel sur la scène internationale ?
La Biennale se tiendra tous les deux ans. À chaque édition, le thème sera choisi collectivement avec les contributeurs de l'événement. Grâce à des événements comme celui-ci et à des artistes influents qui portent la voix de Madagascar au-delà des frontières, nous pouvons vraiment repositionner notre pays comme un acteur majeur sur la scène culturelle mondiale.

Au-delà de cet événement, quels sont vos projets ou rêves pour le développement du secteur artistique et culturel à Madagascar ?
Je rêve d’une école d'architecture malgache, d’une meilleure reconnaissance de notre culture et d’un véritable éveil à la nécessité de préserver notre paysage naturel. Plus de financement pour le secteur culturel est également essentiel.

Pouvez-vous nous en dire un peu sur la prochaine édition ?
Pour la prochaine édition, nous rassemblerons les contributeurs de cette première Biennale pour décider ensemble du thème. J'aimerais notamment attirer l’attention des Réunionnais, car il existe un héritage commun avec Fort Dauphin. Nous envisageons aussi d’accueillir des artistes en résidence et d’explorer ce lien historique entre les deux territoires.

Propos recueillis par Mpihary Razafindrabezandrina
Crédit photo photo : TON

https://nahampoanareserve.com/biennale-de-nahampoana-madagascar/

Laisser un commentaire
no comment
no comment - Plongée dans l’univers de Tohy : une exposition entre émotion et réflexion

Lire

4 février 2025

Plongée dans l’univers de Tohy : une exposition entre émotion et réflexion

Du 1er au 28 février, la galerie IKM Antsahavola présente Tohy, la deuxième exposition individuelle de l’artiste Haga Nisainana. Porté par l’univers m...

Edito
no comment - Les Gardiens de la Forêt de Tsitongambarika : un combat pour la préservation

Lire le magazine

Les Gardiens de la Forêt de Tsitongambarika : un combat pour la préservation

Au sud-est de Madagascar, au cœur d’une biodiversité unique et menacée, s’étend la forêt de Tsitongambarika.
Cette forêt tropicale, l'une des dernières de l'île, couvre environ 60 000 hectares et est classée comme Zone Clé pour la Biodiversité (ZCB). Elle abrite une richesse écologique inestimable avec des espèces endémiques que l'on ne trouve nulle part ailleurs : des lémuriens rares, comme le propithèque à front blanc ( Propithecus diadema ), et des oiseaux emblématiques tels que le foudi de Madagascar (Foui madagascariensis). Chaque année, des hectares de forêt disparaissent pour faire place à des cultures de subsistance ou à l'exploitation illégale du bois, en particulier les essences précieuses comme le palissandre et l’ébène. Les feux de brousse utilisés pour l'agriculture sur brûlis aggravent encore la destruction de cet écosystème. Mais ces menaces ne sont pas irréversibles. La préservation de la forêt repose en grande partie sur l’implication des communautés locales qui vivent à proximité. Face à la déforestation, à l’exploitation forestière illégale et à l’extension agricole, une lueur d’espoir émerge grâce à ces "gardiens de la forêt" : des communautés locales mobilisées pour protéger cet écosystème exceptionnel. Leur travail, souvent méconnu mais essentiel, est une preuve vivante que des solutions locales peuvent avoir un impact global. La forêt de Tsitongambarika est un symbole de résilience et de coopération. Un reportage photographique réalisé par Safidy Andrianantenaina dans la rubrique Grand Angle (p.44) du magazine.

no comment - mag no media 09 - Janvier 2025

Lire le magazine no media

No comment Tv

Making of Shooting mode – Tanossi, Haya Madagascar, Via Milano – Août 2024 – NC 175

Retrouvez le making of shooting mode du no comment® magazine édition Août 2024 – NC 175

Modèles: Mitia, Santien, Mampionona, Hasina, Larsa
Photographe: Parany
Equipe de tournage: Vonjy
Prises de vue : Grand Café de la Gare, Soarano
Réalisation: no comment® studio
Collaborations: Tanossi – Via Milano – Haya Madagascar

Focus

Taom-baovao

Taom-baovao, présentation de la programmation culturelle 2025 de l'IFM à Analakely, le samedi 18 janvier.

no comment - Taom-baovao

Voir