Laëtitia Chan « Faire du vin à Madagascar est atypique »
9 mai 2023 // Entreprendre // 1291 vues // Nc : 160

Le vin malgache est souvent jugé à cause de sa qualité qui n’est pas toujours au goût de tout le monde. Mais comme le précise Laëtitia Chan, directrice commerciale de Chan Foui & Fils, ce n’est pas une question de savoir-faire. La viticulture malgache est face à des défis climatiques mais aussi à un positionnement géographique peu favorable. Il faut également réussir à implanter les cépages appropriés à notre terroir.

La culture de la vigne à Madagascar, une histoire de besoin ?
Madagascar étant une ancienne colonie française, il y avait des Européens, mais aussi une grande congrégation d’ecclésiastes, notamment des catholiques. Ils avaient besoin de consommer du vin de table, mais également du vin de messe.
C’est de cette façon que la viticulture a été introduite ici.
Mais son essor date des années 70 avec la coopération suisse qui a décidé d’enseigner la production de vins aux paysans de la région Haute-Matsiatra, là se trouvaient essentiellement les vignobles des Pères.
Ce qu’on appelait, à l’époque, une culture de rente pour ramener un revenu supplémentaire.
Les paysans plantaient la vigne et récoltaient les raisins à destination de la cave Lazan’i Betsileo, créée par la coopération suisse.

Pour vous, c’est plutôt une histoire de famille ?
Oui, c’est également à cette période-là que mon grand-père, Chan Foui, décide de se lancer dans la vigne. Il avait déjà réfléchi à ce projet dans les années 60, mais la concrétisation du vignoble s’est faite dans les années 70. Il a choisi la région d’Ambalavao. Bien sûr, à l’époque, c’était la brousse, il a fallu défricher, ouvrir les routes… Notre première cuvée sort vers la fin des années 70 appelée Le Côteaux d’Ambalavao, une gamme toujours d’actualité avec peut-être moins de succès, mais comme c’est une gamme historique, nous la gardons. Mon grand-père a travaillé avec ses fils, tout d’abord, un oncle qui est par la suite parti pour faire du vin à Antsirabe et ensuite, avec mon père. Au fur et à mesure, mes autres oncles sont revenus à Madagascar pour travailler tous ensemble, c’est donc devenu une entreprise familiale.

Presque 60 ans après, comment se porte cette filière ?
Dans les années 80, il y avait une cinquantaine de vignobles et actuellement, nous sommes à une dizaine. La viticulture malgache a un peu perdu de son éclat parce que la majorité appartient à  des exploitations familiales et il y a peu de relève. Par contre, maintenant, il y a de plus en plus de petits exploitants certes artisanaux qu’on remarque dans les foires avec de nouveaux produits. On ne peut pas dire que la filière est mourante, car il y a des acteurs principaux. Pour notre part, nous produisons 300 000 bouteilles annuelles avec deux gammes de vin. La première qui est composée des vins secs, c’est-à-dire pas sucrés comme le Côte de Fianar et la deuxième, les vins apéritifs comme le Maroparasy. Ce sont des vins doux issus de vendanges tardives, c’est-à-dire qu’on essaye de retarder au maximum la récolte des raisins pour obtenir plus de sucre. Avec ce raisin très sucré, on va enclencher le processus de vinification normal sans aller jusqu’au bout. On ne va pas transformer la totalité du sucre en éthanol, on va l’arrêter pour garder le résidu de sucre. On a un blanc et un rouge qui sont macérés avec des fruits ou des épices locales. Ensuite, la gamme Aperao, moins sucrée que le Maroparasy, macérée avec des fruits qui poussent sur nos terres.

Une production informelle au détriment de la santé publique ? 
Le souci, c’est de savoir si ces vins répondent aux normes sanitaires et dans quelles mesures les consommateurs sont protégés. Pour notre part, la qualité microbiologique de nos vins est contrôlée tous les ans. À chaque vendange, chaque lot est soumis à des analyses auprès des laboratoires de fraudes de l’État malgache et nous sommes soumis à une demande de commercialisation de nos produits. Les producteurs informels font-ils toutes ces démarches ? Et c’est le consommateur qui risque d’en faire les frais, car si vous avez une bactérie qui est nocive et qu’elle se développe, il y a un danger pour la santé. Il faut faire comprendre au consommateur, notamment malgache, que le vin, ce n’est pas de la chimie. On retrouve parfois des produits à base d’éthanol, de colorants, des arômes et qu’on retrouve sous l’appellation de « vin. »

Un manque de législation qui mène à la fraude ?
Malheureusement, à Madagascar, il n’y a pas de législation de la filière du vin. Il y a eu un projet de loi qui avait été présenté en 1995, mais qui n’a pas été adopté. Donc, les producteurs légaux ne sont pas protégés. Cette loi stipulait que le vin est uniquement issu du raisin. Or, maintenant, on retrouve des « vins » à base d’orange ou de prune. Également, que le vin doit être titré minimum à 8.5 degrés alors qu’on retrouve des vins à 6 degrés. Pour notre part, toutes nos marques sont déposées, nous faisons beaucoup de communication notamment sur la fraude puisque notre gamme Maroparasy, par exemple, a été copiée. On voyait directement au niveau du packaging que ce n’était pas le nôtre. Nous avons fait les analyses pour prouver que ce n’était pas notre vin vis-à-vis de la personne qui l’a acheté. Il y avait aussi un syndicat des viticulteurs, mais depuis quelques années, il est inactif. De notre côté, nous essayons entre vignerons de discuter entre nous.

Malgré tout, faire du vin à Madagascar est atypique ?
Je dirais que faire du vin ici est admirable. Nous sommes face à de grandes contraintes techniques, car la particularité du vignoble malgache, en tout cas pour le cas d’Ambalavao, c’est que nous sommes situés à une altitude tropicale. Et on compare souvent à tort le vin malgache avec celui de l’Afrique du Sud, de l’Australie et du Chili. Pour le Cap par exemple, en termes de latitude, il est beaucoup plus au sud avec des conditions plus favorables pour la culture de la vigne. Ce qui permet aux cépages nobles, qui donnent effectivement les meilleurs vins du monde, de prospérer dans les vignobles dans le sud, c’est la différence thermique. Les fortes chaleurs l’été et les températures basses en hiver qui permettent le repos végétatif de la plante, essentiel à son cycle et à son développement. Mais ce n’est pas le cas à Madagascar. Nous sommes contraints d’utiliser des cépages qui peuvent se passer de ce repos végétatif, plus résistant, car le sol est acide et la pluie se fait rare. Les moyens techniques à disposition sont assez limités, plus artisanaux. C’est dommage de toujours juger le vin sur son acidité et si on se base sur les critères œnologiques, on ne peut pas comparer le vin malgache aux vins européens. 

Ce n’est donc pas une question de savoir-faire ?
En effet, ce n’est pas une question de savoir-faire, car on n’utilise pas les mêmes cépages. En tant que producteur, les gens ne se rendent pas compte de tout le travail derrière et le manque de soutien. Il faudrait développer des partenariats avec des instituts de recherche, car des solutions existent. En théorie, on pourrait cultiver des cépages qui donneraient des raisins dont les propriétés seraient adaptées pour faire des vins de grande qualité. Par exemple, dans la région de Sydney et sa grande vallée du vin, les Recherches et Développement ont mis 40 ans  pour identifier les bons cépages qui étaient adaptés à leur terroir. Les viticulteurs avaient un soutien de la part de l’État, une collaboration avec les universités australiennes et malheureusement, c’est quelque chose dont on manque à Madagascar.

Pour pallier ce problème, quelles sont les solutions que vous avez adoptées ?
Nous faisons des recherches et des essais en interne. Le problème dans la viticulture, c’est qu’un pied de vigne met 5 ans à donner des raisins et à être exploitable et ensuite sa durée d’exploitation est de 50 ans. Nous sommes sur une échelle de temps difficile à maîtriser. Par exemple, si on utilise des cépages nobles comme en Europe, la première année, ils donnent des raisins et meurent très rapidement. Une des erreurs que les gens peuvent faire, c’est d’essayer de copier ce qui se passe ailleurs or, à Madagascar, nous sommes vraiment sur des climats différents.

Justement, quels sont les cépages que vous utilisez ?
Actuellement, nous travaillons sur des cépages hybrides comme le Couder 13 pour le blanc, le Petit Bouchet et le Cévilar en rouge. Le cépage hybride est issu d’un croisement de vignes américaines et européennes. En 1865, il y a eu un parasite appelé le phylloxera qui a détruit les vignobles européens. Ils ont trouvé une vigne américaine qui était résistante à ce parasite. C’est cette vigne-là qui est actuellement utilisée à Madagascar soit dans son intégralité soit croisée avec des cépages européens. Très rustique, résistante, adaptée à l’acidité des sols malgaches, à la sécheresse… En contrepartie, ces cépages-là sont faibles en polyphénols. D’un point de vue organoleptique, ils ont de moins bonnes propriétés que les cépages nobles, ce qui donnent des vins essentiellement jeunes, qui ne sont pas destinés à la garde, mais à consommer généralement dans les 3 à 5 ans avec un goût particulier. Le rouge est assez acide, le blanc est correct par contre, ils sont excellents pour le jus de raisin. Mais on peut dire que le vin produit à Madagascar est au goût du consommateur malgache.

La culture de la vigne à  Madagascar fait également face au changement climatique ?
En Europe, le cycle de la vigne est différent de celui de Madagascar. Là-bas, les vendanges se font en octobre et septembre et ici, c’est en fin janvier et février et peut s’étirer vers le mois de mars notamment pour la région d’Antsirabe. Un des inconvénients de cette période de vendange, c’est la période des pluies. Qui dit pluie, dit des baies gorgées d’eau néfaste pour la teneur en sucre. Même si nous sommes sous les tropiques, il y a un manque d’ensoleillement. Les journées sont courtes, deux voire trois heures de moins par rapport au Cap ou à Sydney. Cela va jouer dans la concentration de sucre dans les baies en plus de la pluie. Le taux de sucre, c’est ce qui va conditionner le degré alcoolique de la bouteille. Autre chose également, la période cyclonique qui compose un risque. Si on vendange, une semaine trop tard, peut-être qu’on aura de la grêle, beaucoup de pluie…

Tout cela joue sur la qualité du vin…
En fonction de la date de récolte, le raisin peut ne pas être suffisamment mature. Ce qui fait qu’il va présenter un peu d’amertume, et encore un peu d’acidité. D’autres contraintes qui nécessitent aussi de récolter un peu avant, dans le cas de presque tous les paysans, c’est le vol. Heureusement, nous ne sommes pas concernés puisque nous avons mis en place des moyens de sécurité. On achète une partie des raisons à ces paysans, et malgré les conseils techniques, on n’arrive jamais à leur faire cueillir les raisins au bon moment. Les quelques jours ou quelques semaines qui manquent à pousser sur le pied entrent en jeu. Une fois qu’on a fait les vendanges, les raisins sont rapatriés sur les caves à Ambalavao à quelques kilomètres et ils sont tout de suite pressés et vont directement dans les cuves de fermentation et suivent  encore différentes étapes. Nous sommes sur un processus semi-industriel. Ici, les bouteilles de vin sont consignées et recyclées, car Madagascar ne produit pas de verre. Nos bouteilles viennent de l’étranger et c’est impossible d’embouteiller dans des bouteilles neuves au risque d’augmenter les prix.

La culture de la vigne, créatrice d’emplois ? 
À l’année, nous produisons sur 60ha. Même si le domaine est beaucoup plus vaste, nous faisons des remplacements de vignes et ouverture de nouvelles parcelles sachant que la vigne ne donne que 3 à 5 ans après sa plantation. C’est pourquoi on achète aussi auprès des paysans pour permettre une certaine stabilité économique au niveau de la région. Ces paysans ont des petites parcelles de 200 m² avec vingt lignes de raisins, par exemple. On négocie très peu, on achète le kilo à 1500 et 2000 ar. Mais il faut le dire, le vignoble malgache a réduit tout simplement à cause de la disparition de certaines entreprises.  Comme c’est une culture qui est longue, une fois par an, ce n’était plus rentable pour certains paysans qui sont passés à la culture d’arachides ou de haricots. Certains paysans ont aussi les mêmes vignes qui n’ont pas été renouvelées depuis 1970. Ils n’ont pas cette volonté de renouvellement, car leurs enfants ne veulent pas forcément reprendre la culture de la vigne et préfèrent trouver du travail en ville. Sinon, nous avons des employés permanents de 80 à 100 familles. En période de vendange, on peut atteindre 400 personnes. 

L’avenir de la viticulture à Madagascar ?
En ce qui me concerne, mon souhait est que l’entreprise continue d’exister et que je puisse la transmettre à mes enfants. Pour ce qui est de la viticulture à Madagascar en général, j’aimerais bien être optimiste, mais il faut vraiment plus d’aide de l’administration. C’est difficile parce que comme c’est de l’agriculture, il faut faire face à des défis à la fois climatiques, les sècheresses, les problèmes d’eau et mondiaux, car tous les intrants sauf le raisin viennent de l’étranger, les différentes crises, l’instabilité de l’ariary, le coût de revient de la viticulture malgache va augmenter. Il y a aussi ce défi d’améliorer la qualité du vin malgache. Je reste optimiste, car faire du vin à Madagascar est très atypique, c’est quelque chose qu’on peut vendre, car il y a un réel marché. 

Propos recueillis par Aina Zo Raberanto

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