L’algoculture est une alternative à la surpêche, et présente également des avantages économiques et environnementaux. Bien que cette activité soit encore récente au niveau mondial et surtout développée en Asie, Madagascar possède une certaine expérience et une carte à jouer dans cette filière. C’est ce qu’explique Jean-Philippe Palasi, co-fondateur et Directeur de l’ONG malagasy INDRI ou L’Initiative pour le Développement, la Restauration écologique et l’Innovation. Si elle est bien gérée, la culture de l’algue permet d’apporter des solutions durables à des populations fragilisées par la dégradation des ressources marines.
L’algoculture à Madagascar : comment se porte cette filière ?
Dans le monde de l’algue, Madagascar reste un acteur de petite taille. Par exemple, le pays représente 0,5% de la production mondiale de Kappaphyccus - une algue rouge riche en carraghénanes - archi-dominée par l’Indonésie et les Philippines. Mais il faut rappeler que l’algoculture est une activité qui commence seulement à prendre son essor au niveau mondial. Madagascar a une belle carte à jouer avec ses grandes zones côtières. Toutefois, les eaux marines de Madagascar, si elles sont riches en biodiversité, présentent une productivité relativement limitée. Pour préserver cette productivité, il faut avant tout préserver les équilibres des écosystèmes et habitats sensibles tels que les récifs coralliens, les mangroves ou les herbiers marins. Le pays est également soumis à des contraintes climatiques (tempêtes, cyclones) qu’il faut gérer.
L’avenir de la filière repose donc sur la capacité des opérateurs et de leurs partenaires à mettre en œuvre les bonnes pratiques visant à protéger l’outil de production : la nature.
Quels types d’algues sont produits sur l’Île ?
En milieu naturel, l’algoculture est concentrée sur les algues rouges, des genres Kappaphyccus et Eucheuma, qui sont sources de carraghénanes (additifs alimentaires gélifiants). Bien sûr, il y a également une production de spiruline, mais qui n’est pas vraiment une algue, c’est une cyanobactérie, et qui n’est pas cultivée en mer, mais plutôt dans des bassins à terre. Pour l’algoculture, les régions les plus favorables sont surtout à l’ouest dans l’Atsimo-Andrefana et le Menabe, dans le nord-ouest à Nosy Be, et dans le nord-est, de Diégo à Sainte-Marie. Le marché principal est celui des texturants (carraghénanes) utilisés surtout en agro-alimentaire, et en cosmétique et hygiène personnelle. Mais d’autres valorisations sont à l’étude dans les domaines des bio-plastiques ou des bio-stimulants.
L’algoculture, constitue-t-elle une activité génératrice de revenus importante pour les populations locales ?
Cela dépend. Dans l’ouest, les populations côtières sont traditionnellement vouées à la pêche et les algoculteurs avec qui nous travaillons, ne s’y consacrent souvent qu’à temps partiel, gardant une partie de leurs temps pour pêcher. Toutefois, nous voyons que certains semblent considérer les revenus de l’algoculture comme plus « sûrs » et stables, et s’y dédient totalement. Au total, entre 3 000 et 4 000 familles vivent de l’algoculture produisant dans les 3 000 tonnes d’algues sèches. Un fermier impliqué à 100 % peut espérer gagner jusqu’à 2 millions d’ariary par mois. L’important est que tout le monde respecte les bonnes pratiques et ne mette pas en danger l’exploitation des autres fermiers en laissant par exemple se développer des maladies. C’est pour cela qu’il est important que la filière soit bien structurée, et que les fermiers soient soutenus et encadrés par des sociétés spécialisées dans l’algoculture avec une approche éthique et sérieuse. Cela permet également de contrôler les potentiels impacts négatifs sur l’environnement et de ne pas aller vers des modèles en surexploitation de milieux fragiles.
Pour les populations locales, notamment pour les femmes, quels sont les avantages de cette filière ?D’abord, c’est une activité relativement simple qui demande peu de connaissances de base. Ensuite, si elle est adossée à une société aquacole qui fournit la totalité du matériel, l’activité ne demande aucun capital pour se lancer. Enfin, certaines techniques de culture permettent une accessibilité des fermes à pied à marée basse, ce qui permet par exemple aux femmes de la pratiquer sans besoin de disposer d’une pirogue. Par ailleurs, cette filière est intéressante pour la bonne gestion et la bonne santé des lagons, ce qui bénéficie à l’ensemble de la communauté.
Cette activité est donc avantageuse pour l’écosystème ?
Oui. Contrairement à la pêche qui repose sur l’extraction de biomasse, l’algoculture génère de la biomasse, ce qui contribue à la bonne santé de tout l’écosystème. La présence de l’algoculture contribue à nourrir les poissons herbivores et à préserver des zones de sédiments et d’herbiers marins. De plus, l’installation des fermes demande des efforts de planification et de concertation avec les communautés et l’ensemble des utilisateurs de l’espace. Quand ce travail est fait avec sérieux, c’est un bon outil de conservation et de co-gestion spatiale de l’espace maritime côtier.
Justement, quelles sont les mesures mises en place pour sensibiliser les pêcheurs à une culture durable de l’algue ?
Certains des principaux opérateurs à Madagascar affichent des objectifs clairs en matière de durabilité. On peut citer par exemple, Ocean Farmers ou Nosy Boraha Seaweed qui sont engagés dans le programme de certification « The Red Seaweed Promise ». Ils ont lancé des programmes de formation destinés aux fermiers sur toute une série de thématiques, allant des bases de la biologie des algues aux bonnes pratiques environnementales en passant par les techniques de culture, de récolte, de séchage, la gestion des maladies… Des plans d’aménagement et de gestion concertés sont également mis en place entre les communautés, les entreprises aquacoles, la société civile, les ONGs et l’administration. Des efforts sont également mis en œuvre pour aider les groupements de fermiers à se constituer et à prendre en main certains services aujourd’hui apportés par les sociétés, mais cela prend du temps, surtout dans les zones isolées.
Quelles sont les missions d’INDRI pour le développement de cette filière ?
INDRI est un centre d’expertise, d’intelligence collective et de plaidoyer. INDRI a décidé de soutenir la filière algoculture, car c’est une activité qui peut avoir un impact positif à Madagascar. Nous savons que 500 000 personnes à Madagascar dépendent directement des ressources marines pour vivre, et que ces ressources s’amenuisent. Si elle est bien menée, l’algoculture peut apporter des revenus aux communautés locales, tout en contribuant à la bonne santé écologique des lagons. C’est un secteur économique assez porteur au niveau mondial, et nous voulons vraiment aider les acteurs malgaches à faire de cette filière un succès au niveau national. Récemment, INDRI a lancé un processus collectif avec les acteurs clés de cette filière pour favoriser son développement vertueux sur les côtes de la Grande Île.
« Dans l’algoculture, Madagascar a une belle carte à jouer avec ses grandes zones côtières. »
« Si elle est bien menée, l’algoculture peut apporter des revenus aux communautés locales, tout en contribuant à la bonne santé écologique des lagons. »
La production mondiale de macro-algues s’élève à près de 25 millions de tonnes en 2013 (FAO, 2014) : 96 % de ce tonnage provient de la culture d’algues dans les pays d’Asie de l’Est et du Sud-Est, et le reste provient d’Amérique du Sud, d’Afrique, d’Europe puis d’Océanie.
Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, les algues représentent 51% des produits de l’aquaculture mondiale en milieu marin, devant les mollusques (37 %) et les poissons (9 %).
La production d’algues en Europe en 2013 était seulement de 320 000 tonnes. Or, la quasi-totalité du tonnage européen est produit à partir de la cueillette d’algues sauvages (près de 87 %) et provient majoritairement de la Norvège, de la France et du Danemark.
Il est estimé que l’ensemble des végétaux aquatiques de la planète produit entre 70 et 80 % de l’oxygène de l’atmosphère. Ce qui représenterait environ 330 milliards de tonnes d’oxygène par année. Donc sans les plantes aquatiques, dont les macro-algues, la vie sur Terre ne serait pas possible, ce qui fait des algues un élément indispensable à la vie telle qu’on la connaît.
Source : https://seabiosis.com/lalgoculture-une-culture-ecoresponsable/
Propos recueillis par Aina Zo Raberanto
Contact Jean-Philippe Palasi : +261 34 48 984 85