8 - Dans le halo incertain de la nuit, nous nous apprêtions à plonger dans l’inconnu, escortés par l’autochtone né sous la bonne étoile. Rien ne troubla le sillage de notre guide, si ce n’est que son imposant sabre, compagnon unique de notre expédition nocturne.
Mon audacieux ami, décidé à affronter l’inconnu, s’arborait d’un vangovango, un bracelet malgache, proclamant qu’il serait le talisman de sa bravoure. Mon autre compagnon brandissait une lampe torche, promesse d’une lueur dans la noirceur menaçante.
Quant à moi, je me contentais de rassembler mes cigarettes, mes goodlooks, ignorant les mystères qui s’apprêtaient à tisser l’atmosphère.
Néanmoins, mon ignorance des forces ésotériques se mêlait à la certitude que les esprits répugnent au feu. Ainsi, secrètement, j’espérais que la lueur de ma cigarette les contraindrait à la fuite.
L’ironie m’étreignait, j’étais sur le point de m’aventurer délibérément dans l’obscurité pour voir le surnaturel, pourtant, je m’armais pour les conjurer.
Pour dire vrai, j’ai finalement décidé d’abandonner ; la peur a pris le dessus.
Pourtant, les mots sibyllins du guide et une étrange vibration m’invitaient à émerger de la sécurité du foyer. Une force impérieuse nous appelait à défier l’indicible, incitant mes compagnons et moi-même à suivre notre guide dans le mystère insondable de la nuit.
Cependant, la jeune fille, surprenant tout le monde par une réflexion inattendue, déclina notre marche funeste au dernier moment.
Elle opta pour la prudence, choisissant la sécurité de l’intérieur plutôt que l’incertain à l’extérieur. Abandonnés aux mains du guide, mes deux compagnons et moi-même le regardions s’éloigner sans s’attarder. Il poussa la porte avec détermination et s’engagea dans la cour.
Une fois arrivé, il s’immobilisa brusquement, entamant un murmure mystérieux, comme s’il s’adressait à une présence invisible.
Nous ignorions à qui il parlait, il semblait engager un dialogue avec l’un de ses ancêtres.
Dans le silence qui nous enveloppait, nous demeurions muets derrière lui, observant avec vigilance le moindre signe de danger. Après son rituel, nous entreprîmes le chemin vers une obscurité totale. Malheureusement, la lampe torche de mon compagnon ne tint pas sa promesse, sa lueur été étouffée par les ténèbres, alors que nous progressions sur la route qui traversait tout le village.
À cet instant précis, je confesse ressentir une appré- hension extrême.
Une présence fantomatique me frô- lait déjà, bien avant notre sortie du village. C’est alors que je décidai d’allumer une cigarette. Celle-ci devint mon ultime recours ; dans les moments de tension palpable, je fume sans fin.
« Est-ce que tout le monde est à son aise ? » questionna soudainement notre guide. « Vous auriez un très bon souvenir à ramener à Antananarivo, » poursuivit-il ensuite, ses paroles flottant dans l’air nocturne comme des échos mystérieux.
« C’est exactement pour cela qu’on est venu jusqu’ici, votre réputation s’est fait entendre jusqu’à la capitale, vous savez, » répondis-je, laissant mes mots se mêler aux ombres du crépuscule.
« Mais vous, vous ne me connaissez pas, » répliqua le guide avec flegme, déclenchant en moi une terreur latente. Ma confiance en ce jeune homme commençait à s’effriter. En effet, on ne sait guère à qui nous avons affaire. Armé d’un long sabre, il nous laisse démunis, sans moyen de défense ou de protection.
Pourtant, mes compagnons ne partagent pas cette méfiance. Et le plus audacieux lança :
« Vous êtes un être exceptionnel, mon ami ! »
À ces paroles, je demeurai silencieux, murmurant en mon for intérieur qu’il le trouve exceptionnel, alors que rien ne garantit que l’on ne retrouvera peut-être plus que des petits morceaux de notre corps au retour de ce voyage.
« Voyons, n’ayez pas peur, » murmura subitement le guide, comme s’il avait lu dans mes pensées, accentuant le mystère qui planait autour de lui.
« Avez-vous déjà vu un homme-animal ? » poursuivit-il ensuite, laissant à ma peur grandissante zéro chance de se calmer. Ces mots m’ont poussé au bord de la folie, la peur atteignant son paroxysme.
« Un homme-animal ? » répliqua l’un de mes camarades.
« Je n’en ai jamais vu, mais cela serait tellement intéressant d’en voir. »
« Ce n’est pas chose aisée d’en faire face, » déclara calmement le guide.
« Il y a des gens qui les prennent comme animal domestique dans les environs du village. Ils se nourrissent principalement de viande, ils ne supportent pas l’odeur du sang. Leurs difformités pourraient plonger même les plus courageux dans la plus grande des terreurs. Je ne saurais vraiment vous les décrire, mais contrairement à la croyance populaire, ce ne sont pas des créatures mi-homme, mi-animal, ce sont de vrais animaux qui ont l’aspect d’un humain. »
« C’est un vrai animal qui a l’aspect d’un humain, ce n’est pas chose aisée de leur faire face, » ces mots résonnaient en boucle dans ma tête. Je ne savais pas si notre guide cherchait à nous effrayer avec ces récits fantastiques, mais dans tous les cas, il continuait sans relâche, rythmant notre expédition d’une aura mystérieuse. J’éprouvais une peur indicible, même si la route que nous avions empruntée était plutôt calme. De temps en temps, pourtant, des bruits dans les arbustes environnants s’élevaient. À ces bruits, notre guide nous rassura :
« Ne vous inquiétez pas, ces bruits vont faire surface dans pas longtemps ». Il disait cela avec un ton neutre, comme si de rien n’était, comme si ces paroles ne pouvaient germer la terreur même chez les âmes les plus intrépides.Après quelques minutes de marche, une étrangeté a attiré mon attention. Instantanément, un frisson a parcouru ma chair et, et machinalement, j’ai jeté un coup d’œil interrogateur à mes compagnons. Leurs visages reflétaient une angoisse similaire à la mienne. Manifestement, eux aussi avaient remarqué cette bizarrerie et étaient tout aussi perturbés. Je ne vais pas vous tenir davantage en suspens, mais devinez ce que nous avons aperçu ? Une sorcière, oui, une authentique sorcière.
9 - C’était une femme d’une cinquantaine d’années. Elle se présentait devant nous, drapée d’un pagne sur la tête, son corps dénudé entièrement imprégné d’huile. À cet instant, mon cœur menaçait de s’exploser, mes genoux vacillaient, prêts à m’abandonner. Une étrange paralysie m’envahissait, rendant le simple acte de marcher d’une difficulté inouïe. Mes compagnons, eux aussi, semblaient figés dans la terreur. Nous n’osions bouger, contrairement à notre guide, poursuivant imperturbablement son chemin. L’instinct de survie s’empara de moi, suscitant le désir pressant d’opérer un demi-tour. Même si l’obscurité régnait encore, retrouver le chemin du retour semblait à portée de main. Nous avions suivi une longue route droite en terre battue, sans prendre de détour. Rassemblant les dernières forces qui m’animèrent, j’ai voulu tourner mon regard vers le foyer sé- curisant que nous avions imprudemment quitté. Mais hélas, sans franc succès. La respiration devenait pénible, chaque pas s’apparentait à un défi insurmontable. Tout semblait s’évanouir en une fraction de seconde. Notre guide persistait à s’éloigner, tandis que nous demeurions immobiles. Cette expérience était telle qu’elle m’a laissé une cicatrice profonde, une empreinte indélébile que vous peinez assurément à comprendre. J’en porte les stigmates jusqu’à ce jour en vous relatant tous cela. Plongé dans l’indécision, l’incapacité à respirer m’assaillait. Si seulement je pouvais m’évader par l’évanouissement, j’aurais volontiers saisi cette option, mais la réalité implacable en avait décidé autrement. Devant nous se dressait la silhouette fantomatique d’une sorcière. Cependant, rebrousser chemin semblait tout aussi insurmontable. La peur, telle une chaîne invisible, paralysait nos membres, dérobant toute notre force depuis que nos yeux s’étaient posés sur cette apparition terrifiante. Plongés dans un abîme de désespoir, mes compagnons et moi cherchions mutuellement du réconfort, nos regards éperdus se croisant dans cette épreuve cruelle.
Notre guide, à présent à une distance d’environ 6 à 10 mètres, continuait son avancée, ralentissant toutefois son pas. J’étais comme un enfant au bord des larmes, ma volonté vacillante, mais le devoir d’avancer persistait. Mes jambes répondaient difficilement à mon impulsion. Un poids écrasant entravait chacun de mes pas. Mon cœur, serré dans un étau, oscillait entre une explosion imminente et un arrêt brutal. Ma tête pesait lourd sur mes épaules. Mon corps, prisonnier d’une force invisible, exigeait une réaction immédiate. Renforçant mon mental, j’ai réussi à suivre péniblement le rythme, chaque pas semblant une victoire sur l’obscurité qui menaçait de nous engloutir.
(À SUIVRE)
Les faits relatés dans les histoires sont réels et ont été vécus par les narrateurs.