Philippe Bonaldi « On a tous notre histoire à la con »
5 août 2021 // Littérature // 663 vues // Nc : 139

Musicien, écrivain, cuisinier des stars, Bonaldi a tout fait dans les 15 vies qu’il s’octroie généreusement. Même chanter « Sex Machine » en duo avec James Brown dans des toilettes. Le solitaire de l’île aux Nattes nous revient avec un nouveau recueil mitonné à la vitamine de vie. Sa recette du bonheur ?

Tout commence par cette attaque chez toi à l’île aux Nattes (Sainte-Marie), en mars dernier…
Ça m’est tombé dessus d’un coup, sur mon canapé. L’impression de m’enfoncer dans du coton, plus moyen de coordonner mes mouvements ni de parler. L’accident vasculaire cérébral (AVC) caractérisé. Les Anglais ont un joli mot pour le désigner, le « tueur silencieux ». Il suffit d’un vaisseau sanguin qui se bouche pour que tu y passes ou finisses moitié paralysé avec la cervelle fonctionnant au ralenti jusqu’à la fin de tes jours. On m’a hospitalisé d’urgence mais je ne m’en sors pas trop mal au final. Maintenant c’est mollo sur la clope et la picole, je reconnais qu’il y a eu des excès de ce côté-là… Toujours est-il que j’ai reçu ça comme un signal de trop-plein, comme quand le plombier débarque chez toi parce que ta fosse septique déborde ou comme une maman qui t'ordonne de ranger le foutoir dans ta chambre.

Quel genre de foutoir ?
Des choses qui me traînaient dans la tête depuis des années et que l’AVC me sommait de mettre au clair. J’ai la manie de tout noter sur des carnets, des phrases, des idées qui me traversent l'esprit, des choses vues, entendues.

Je fais plutôt partie des « voleurs » de mots ou des ramasseurs de perles, au hasard des soirées arrosées ou de situations particulières lorsque le comique, l’absurde ou la poésie s’invitent comme par miracle à ta table. J'inscris tout et n'importe quoi. Rien n'est trié, tout est en vrac. J’aime cultiver un certain désordre qui n’est jamais, pour reprendre la formule consacrée, que mon ordre à moi. Sauf qu’avec les années, ça commençait à faire de l’encombrement.

Le résultat, ce sont ces  685 pensées « extraites » du cerveau…
Vu le contexte médical de l’AVC, j’aime bien le côté chirurgical du titre.
Comme des petits plombs ou des calculs dont on m’aurait débarrassé la tête.
Il y a de tout là-dedans, des aphorismes à portée disons existentiels, sur la vie, la mort, les femmes, le fromage de vache et même les extra-terrestres, mais aussi des à-peu-près, des calembours plus ou moins foireux comme je les aime.

Modestement, je me sens dans la lignée des Coluche, Pierre Dac, Desproges, des dialogues d'Audiard et des Monty Python. J’aime mélanger le sérieux de la vie avec la franche déconnade. Mais AVC n'est pas un livre de blagues ni un recueil philosophique, c'est juste un livret à lire aux toilettes, par exemple, à n'importe quelle page et à n'importe quelle heure. Un objet littéraire un peu à part.

Philippe Bonaldi, « 685 pensées furtives extraites du cerveau », Antananarivo, juillet 2021, 84 p.
Prix : 20 000 ariary.
Disponible par No Comment.

La forme brève, lâchée comme ça vient, te correspond mieux que le roman ou le poème ?
Comme auteur-compositeur j’ai l’habitude d’écrire des textes courts qui doivent coller aux trois minutes de musique imparties, pas de temps à perdre, tout dans la sensation et l’immédiateté. C’est aussi que je n'ai pas forcément le talent pour écrire des romans ou des scénarios où tout doit être ficelé au millimètre. Il y a cinq ans, j’ai écrit mon premier vrai livre long, « Horizon vertical » de 420 pages, mais à vrai dire je me sens plus à l’aise avec mes petites histoires décousues à la Oui-Oui, un de mes personnages récurrents. Pareil pour la poésie. La mathématique des vers me ramène au mauvais élève que j'étais sur les bancs d'école.

Dans une de tes nombreuses vies, tu as été cuisinier de stars…
Je crois même avoir inventé le concept de catering pour stars ! En gros c’est moi qui préparais la bouffe pour des musiciens en tournée ou des équipes de cinéma. J'ai eu la chance de nourrir pas mal de grands artistes et contrairement à ce qu’on pense, c’est plutôt leur humilité et leur humour qui m'ont marqué. Comme de se retrouver dans les toilettes à chanter Sex Machine en duo avec James Brown, juste avant qu'il monte sur scène, ou de préparer un hachis Parmentier aux haricots rouges avec Joe Cocker… Des fois la vie c’est mieux qu’au théâtre, tu t’assois, tu n’as qu’à regarder.

« Des choses qui me traînaient dans la tête depuis des années et que l’AVC me sommait soudain de mettre au clair »

Il y a un vrai côté « gentil » chez toi. Même quand tu t’en prends aux cons (deux chapitres leur sont consacrés), tu as la délicatesse de t’intégrer dans le lot. Tu notes, par exemple : « Si vous habitez seul sur une île déserte – ce qui est ton cas - vous pouvez l’appeler l’île au Con »…
C'est la moindre des politesses de se considérer aussi con que son voisin. D’ailleurs, on a tous notre histoire à la con ! Moi si je me suis réfugié il y a 11 ans en Malgachie, le nom que je donne à Madagascar, c’est que la Corse d'où je viens, l’île de Beauté, a la même forme que l'île Rouge. J’y ai vu comme un signe. J'ai fui le brouhaha des cons à fort pouvoir d’achat sans trop savoir ce que je venais chercher. Mais très vite j'ai compris comment la vie humble et saine, du genre de celle que je mène à l’île aux Nattes, peut apporter à la construction d'un bonheur simple. Mon bonheur est tout con, mais c’est le mien.

Tu vis de ta prose ?
Clairement non ! Si je rembourse mes frais, je serai content. J'ai choisi l’autoédition à faible tirage (2 000 exemplaires) en espérant pouvoir compter sur les partenaires locaux pour la distribution. Perso, je n’ai rien contre l’idée de vendre mes bouquins dans une boulangerie ou dans une quincaillerie, je crois aux réseaux de proximité. Et puis j’ai bénéficié de l'appui d'amis talentueux comme Steve Ramiaramanantsoa pour la mise en page et John Bob, street graffeur à La Réunion, pour les illustrations.

Côté musique, tu en es où ?
Peut-être un cinquième album en vue. La musique c’est comme la cuisine, c'est l'assemblage qui est le plus important. Et s’en remettre aux rencontres, comme quand je me suis retrouvé à enregistrer avec Cabrel ou avec Mamy Basta sur « Vazaha’s Gasy ». Là, je suis sur un projet un peu fou et très rock qui me permettra de me frotter à la nouvelle vague des musiciens de Tana. La scène rock est d’une incroyable vitalité dans ce pays, il est temps que ça se sache à l’extérieur.

Finalement, y’a bon l’AVC ?
Le coup de sang a été comme un coup de torchon. Il m'a permis de me recentrer, de retrouver les vraies priorités. Une nouvelle vie, en somme, même si ce doit être la quinzième en ce qui me concerne, deux fois plus que les chats à qui on n’en prête que sept. Pour en sortir chaque fois plus fort. Revivre donne du muscle au bonheur, ah celle-là c’est pour le prochain recueil !


Propos recueillis par Alain Eid

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