Elle a été sacrée meilleure entrepreneure innovante au troisième « Women in Business » en mai dernier. À travers son entreprise, Biogasikara Energy, elle veut s’imposer dans le secteur de l’énergie, un secteur encore très masculin.
Comment se porte le secteur de l’énergie à Madagascar ?
C’est un secteur riche en développement d’opportunités, il y a un fort besoin d’entreprendre dans ce domaine.
Cependant, il est sous-exploité, les législations en matière d’investissement sur ce secteur prometteur sont encore floues ce qui constitue un frein à son développement. L’implication des femmes est cruciale pour pouvoir accélérer vers une industrialisation responsable et indispensable à la création d’emplois.
À travers le Groupement des femmes entrepreneures de Madagascar (GFEM) œuvrant pour la promotion de l’entreprenariat, j’ai eu l’opportunité de bénéficier d’une formation de base sur les énergies renouvelables dans le cadre du projet Femme et Énergie et cela m’a permis de découvrir les technologies de valorisation de la biomasse en 2018.
D’où la création de Biogasikara Energy ?
Un ami qui habite à l’étranger nous a proposé, à mon mari et moi, d’importer des combustibles venant du Canada. Au début, nous avons hésité mais une étude du marché qui nous a montrés que le potentiel est énorme. Toutefois, d’après nos calculs, le prix du produit importé n’était pas à la portée de la population malgache. Durant nos recherches, nous avons également découvert que la situation de Madagascar en termes de déforestation était alarmante. C’est le déclic qui a poussé à la prise de conscience vers un projet qui pourrait être aussi une solution. Je suis originaire de Moramanga où se regroupent les industries du bois. J’ai constaté un problème de gestion des déchets de bois, notamment la sciure, au sein de ces industries et cela m’a amenée à me dire qu’au lieu d’importer du combustible de l’étranger, pourquoi ne pas valoriser les déchets disponibles. Et c’est ainsi que Biogasikara Energy est né en 2019.
Qu’entend-on par « énergie alternative ? »
Nous faisons la collecte et la transformation des déchets en briquettes combustibles qui sont une source d’énergie alternative au bois. Le processus de production comprend la collecte des déchets, le séchage et triage si besoin, et enfin le compactage. L’énergie alternative que nous offrons est une énergie de remplacement ou de substitution, mais c’est une solution plus durable par rapport au bois de chauffe et au charbon de bois. Nous avons la briquette brute qui remplace le bois de chauffe et nos futurs produits comprendront la version carbonisée de la briquette qui remplacera le charbon de bois traditionnel, ainsi que les granulés de bois destinés à des industries spécifiques.
Des briquettes destinées à différents types de consommateurs ?
Les industries des huiles essentielles ont déjà constaté des avantages considérables par rapport au bois de chauffage. Nos briquettes offrent une solution aux industries de textile qui sont sous pression au niveau local et international pour réduire leurs impacts environnementaux. Le secteur de l'hôtellerie manifeste aussi un intérêt considérable pour l'utilisation de combustibles plus durables dans l'exploitation des hôtels et restaurants. Enfin, au niveau des particuliers, la demande est énorme dans tout le pays, même si la sensibilisation est faible. En ce moment, nous produisons environ 90 tonnes de briquettes par mois, mais l’objectif est d’atteindre jusqu’à 300 tonnes par mois pour ce premier site de production. Même si le seuil de rentabilité n’est pas encore atteint, l’entreprise est quand même sur la bonne voie et nous avons confiance en notre potentiel, nous avons les ressources nécessaires pour y arriver.
Un secteur créateur d’emplois…
À travers des partenariats avec les industries de bois à proximité d’où viennent nos matières premières, nous collaborons également avec des transporteurs locaux pour le transport vers le site de production. Nous impliquons plutôt les personnes vulnérables dans la collecte dont la plupart sont des femmes afin qu’elles puissent accéder aux opportunités d’emplois et tirer profit de l’existence du projet dans leur communauté. Notre priorité en ce moment est de perfectionner notre premier site de production, mais nous étudions déjà les possibilités d’extension du projet dans d’autres régions de l’île afin de pouvoir faire une différence au niveau de l’impact environnemental et socio-économique.
L’entreprenariat féminin est en plein essor…
Les femmes font bouger les lignes, l’accès aux opportunités devient de plus en plus inclusif. Les institutions publiques et privées impliquent plus de femmes dans leurs projets, c’est prometteur. Mais l’accès au financement reste problématique. Grâce au projet Biogasikara Energy, j’ai eu la chance d’être sélectionnée pour un programme de formation en leadership au centre régional de leadership à Dakar à travers Yali Power Africa. Il s’agit d’un programme spécifique destiné aux jeunes femmes africaines dans le domaine de l’énergie et dispensé par des experts internationaux de haut niveau. La combinaison de mes recherches personnelles intensifiées, ainsi que les différentes sortes de formations en ligne et en présentielle m’ont forgée et poussée à aller de l’avant et à relever le défi dans un secteur encore fortement dominé par les hommes.
Propos recueillis par Aina Zo Raberanto