Ame.sœur (suite)
16 février 2025 // Mistery // 952 vues // Nc : 181

7- Nous nous sommes allongés sur le sol, nos mains entrelacées, et nos regards ne se quittant pas. Puis, nous avons tourné les yeux vers le ciel. Au départ, je n’ai rien ressenti, si ce n’est un doux murmure semblable au ressac des vagues. Ma bouche, sèche, me rappelait ma soif, mais je faisais tout pour l’ignorer.

Soudain, elle a émis un son étrange, un bruit à la fois inquiétant et inexplicable. Ses doigts se sont refermés sur ma main avec une force désespérée. En tournant la tête vers elle, j’ai vu ses yeux, déjà noyés de larmes. Puis son corps s’est tendu, chaque muscle figé dans une rigidité terrible. Ses paupières ne clignaient plus, ses yeux grands ouverts semblaient lutter contre une force invisible. Sa peau devenait d’une pâleur fantomatique.
Je l’ai prise dans mes bras, la suppliant de tenir bon. Mais une panique glaciale s’est emparée de moi : quelque chose n’allait pas. Mon propre corps était douloureux, mais le poison, lui, semblait m’épargner. Était-ce la dose ? La différence dans ce que nous avions ingéré ? Je ne savais plus.

Alors que ma gorge se serrait, j’ai réussi à murmurer : « Je vais venir, attends-moi, je te rejoins… » Mais mes forces me trahissaient, et une peur sourde m’envahissait : qu’elle meure, me laissant derrière, vivant.
Ce fut le moment le plus atroce de ma vie : entendre son dernier gémissement, une plainte qui résonne encore en moi. Sa main s’est doucement détachée de la mienne, sa poitrine s’est affaissée une dernière fois, et elle est partie. Partie, simplement, sans moi.
J’ai crié, un hurlement venu du plus profond de mon être, mais mon appel est resté vain.
— Attends-moi ! ai-je supplié, terrifié, mes larmes inondant mon visage.
Je continuais à crier, espérant qu’elle m’entendrait, mais elle m’avait déjà quitté. Et moi, j’étais toujours là, accablé par le poids insupportable de son absence. Les souvenirs de notre vie ensemble ont défilé devant mes yeux. Chaque instant, chaque sourire, désormais teinté de tristesse. Nous avions voulu fuir, échapper à l’étouffante prison dorée tissée par nos parents, mais le destin avait scellé notre sort.
Alors que mes paupières devenaient lourdes, je l’ai regardée une dernière fois. Malgré mes larmes, un mince réconfort m’effleurait : peut-être, ailleurs, dans un autre monde, nous trouverions la paix et l’éclat d’une vie meilleure. Tout autour de moi s’est mis à tourner, les contours du monde devenaient flous. Le froid et l’obscurité s’insinuaient en moi, et j’ai compris que mon tour venait. Mon chemin, tout droit tracé vers Hasiniala, m’appelait enfin.
C’est alors que j’ai compris l’implacable vérité : l’homme ne détient pas le contrôle sur sa vie. Et personne ne meurt avant l’heure fixée. Deux jours après notre acte désespéré, j’étais encore vivant. Si vous pouviez imaginer le regret, la morsure du remords qui m’a consumé par la suite…
8- Pendant mon sommeil, un rêve est venu me hanter. Dans cet entre-deux fragile, mon esprit a voulu croire que c’était la réalité. Nous étions ensemble, heureux, loin des chaînes qui avaient obscurci notre bonheur. Mais ce bonheur fut éphémère : nous avons été arrachés l’un à l’autre, projetés dans des mondes différents, incapables d’être réunis pour l’instant.
Dans ce rêve, je pleurais.
— Ne me laisse pas tout seul ! implorais-je.
Mais un nuage sombre, plus noir que la nuit elle-même, l’a dissimulée à mes yeux. Je ne l’ai plus revue. Ce rêve, parmi d’autres, était le plus clair, le plus cruel.
À mon réveil, je me suis retrouvé envahi par un torrent de regrets. Mes larmes coulaient encore. Je me répétais, en boucle, qu’il ne me restait rien à vivre, que ma place n’était plus ici.
De retour chez moi, j’ai ouvert les yeux pour entendre les cris accusateurs de mes parents. Mais leurs mots n’avaient aucune prise sur moi, car mon esprit, mon cœur, appartenaient à Hasiniala.
J’ai interrompu les hurlements de mon père :
— Hasiniala ? Où est-elle ? ai-je demandé, en larmes.
Ma mère a répondu froidement :
— Ne pense plus à elle. Elle ne fait plus partie des nôtres.
Ses mots étaient des couteaux. Je savais déjà qu’elle était partie, mais cette froideur, cette hypocrisie, m’ont rendu fou. Ce jour-là, j’ai haï ces êtres qui m’avaient donné la vie, eux qui étaient responsables de tant de souffrances.
Je criais son nom, déchirant mes vêtements, perdu dans un océan de désespoir. Je suppliais qu’on me laisse voir son corps inanimé, mais on me l’a refusé. Mes parents m’ont enfermé, retirant tout objet tranchant, toute bouteille, par peur que je mette fin à mes jours. Même ceux qui m’avaient donné la vie n’osaient plus m’approcher, tant leur simple présence éveillait en moi une rage profonde : une haine noire, brûlante, qui me poussait à vouloir les détruire… et me détruire moi-même.
Je n’étais plus qu’un corps vide, un esprit brisé. La vie n’avait plus de sens depuis qu’Hasiniala avait disparu. Mon corps se fanait à vue d’œil. Je refusais de manger, sombrant lentement dans une maigreur cadavérique. Mes parents, impuissants, envisageaient de m’enfermer dans un asile, incapable de comprendre ma douleur.
Six mois s’écoulèrent. Six mois de solitude, de silence. Puis, des pleurs d’enfant ont commencé à hanter mes nuits. Au début, je n’y prêtais pas attention. Mais ces sanglots nocturnes revenaient sans cesse, épuisants, obsédants. Une nuit, n’en pouvant plus, j’ai hurlé :
— Silence !
Mais les pleurs continuaient, plus déchirants encore. Puis, une voix douce, familière, est apparue, murmurant pour apaiser l’enfant. C’était elle. C’était Hasiniala.
Je n’ai ressenti aucune peur. Au contraire, un immense soulagement a envahi mon cœur. Elle était là, devant moi, berçant un bébé. Mon âme s’est remplie d’une chaleur oubliée.
— Pourquoi ne berces-tu pas notre enfant ? m’a-t-elle demandé d’une voix douce.
J’étais figé. Cette voix, je la reconnaissais entre mille. C’était bien elle.
— Notre enfant ? ai-je balbutié. Mais… d’où vient-il ?
Elle a baissé les yeux vers le petit être dans ses bras.
— Je te l’ai dit. C’est notre enfant.
Je suis resté sans voix. Elle m’a alors raconté ce que je n’aurais jamais pu deviner. Lors de notre dernière nuit ensemble, avant que tout ne bascule, elle était tombée enceinte. Elle l’avait découvert avant même que nous n’atteignions Farafangana. Cette grossesse, imprévue, l’avait poussée au désespoir, incapable de trouver une issue.
Ce fut comme un coup de poignard. Si j’avais su… jamais je n’aurais laissé cette tragédie se produire. Un poids écrasant s’abattit sur ma poitrine. J’étais incapable de croiser son regard. Mais elle, apaisée, m’a souri.
— Même si la mort nous a séparés, nous sommes réunis maintenant.
Dès lors, nous avons formé, dans le secret de ma chambre, une famille invisible. Je partageais mes repas avec eux, ne mangeant que la moitié pour laisser l’autre à Hasiniala. Un jour, j’ai même demandé à la servante d’apporter deux plats :
— La prochaine fois, apporte deux assiettes. Ma femme et mon enfant sont là.
Elle avait ri, pensant à une mauvaise blague. Mais moi, j’étais sérieux. Chaque jour, je vivais pour eux, dans ce fragile équilibre. Pourtant, leurs assiettes restaient toujours intactes.
Mais mes parents, inquiets de me voir parler seul et bercer un enfant invisible, ont fait venir les mpiandry, ces serviteurs de l’église, pour chasser ce qu’ils croyaient être des esprits.
Hasiniala est entrée dans une colère sourde. Ceux qui osaient troubler notre paix ont vite compris qu’ils n’étaient pas les bienvenus. La maison est devenue étrange, comme habitée. Des éclairs de lumière, des ombres furtives, des manifestations inexplicables effrayaient quiconque s’approchait de moi.
Le lendemain, les mpiandry sont revenus. Ils ont prié, posé leurs mains sur moi, m’ont contraint à m’agenouiller. Mais je voyais Hasiniala et l’enfant souffrir, tentant de s’éloigner de moi, de me fuir. Je me débattais, hurlant pour les sauver, mais six hommes me maintenaient de force.
J’ai entendu des cris, des hurlements déchirants, puis plus rien. Elles avaient disparu. Mon corps était pris de convulsions, ma bouche écumait d’une salive blanche et gluante.
Quand tout s’est apaisé, ils ont cru que j’étais guéri.
Trois jours ont passé. Pas un signe d’elle, ni de l’enfant.
Mais le quatrième jour, Hasiniala est revenue. Mais ce n’était plus la même. Sa colère s’est abattue sur toute la maison. Les servantes ont fui, terrorisées. Même mes parents n’étaient plus épargnés.
Ma mère a avoué plus tard qu’elle avait failli mourir chaque nuit. Mon père, lui, chutait sans raison, comme si une main invisible le poussait, accumulant blessures et douleurs qui ont fini par le briser.
Hasiniala n’était plus l’ombre douce de mon amour passé. Elle était devenue une présence vengeresse, refusant qu’on détruise ce qui restait de nous.

(A SUIVRE)

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