Le devoir de violence, Yambo Ouologuem
18 janvier 2025 // Littérature // 5552 vues // Nc : 180

Ce livre est l'un des plus grands classiques de la littérature africaine. Sujet à maints scandales, taxé de plagiat, de vulgarité érotique, un demi-siècle après, alors que les critiques ont été oubliées et moisissent dans leurs tombes, le chef-d'œuvre reste intact et parle comme hier d'une Afrique terrible, exposée dans sa nudité. Aujourd'hui, les mots de Yambo Ouologuem résonnent plus que jamais, amplifiés par le Goncourt 2021 obtenu par une œuvre où le cœur se trouve être Le devoir de violence sous la plume d'un Mohamed Mbougar Saar génial.

Une lumière crue

Après la dernière page de ce livre désormais légendaire, ma première impression a été l'abasourdissement. Jamais écrivain noir avant Yambo Ouologem n'a décri ainsi le passé de ce continent. Un passé où l'esclavage, les exactions, les pires atrocités : viols, exploitations brutales, génocides, sont le fait des Africains eux-mêmes. Ou si, mais ce fut alors l’œuvre d'un historien malgache dont tous semblent avoir tu le nom : Raombàna. Car Raombàna quand il appelle Andrianamponimerina l'usurpateur, narrant les perfidies de ce roi démiurge, remet les pendules à l'heure de la plus brutale des manières. Sous sa plume, hier devient tout d'un coup plus réaliste car les dorures affabulatrices sont tombées.

Dans Le devoir de violence, la vérité est crue. Le passé de l'Afrique est sanguinaire, non par des mains blanches, qui ont hérité des armes du crime, mais par des mains noires ; non par le christianisme, mais par l'islam, par les traditions ancestrales. Car nous-mêmes avons vendu nos frères, nous-mêmes avons violé nos sœurs, trahi nos pères et assassiné nos mères. Et avant que ne s'achève l'ouvrage, Kassoumi, un des personnages clés, commet un péché œdipien. Il achète sa sœur dans un bordel, et eux deux sans le savoir, comme s'ils avaient oublié leurs liens de parenté, comme nous tous, amnésiques de nos racines ensanglantées, orphelins de notre humanité, copulent.

Le devoir de violence est donc un miroir cruel, où les prétentions nombrilistes, les mirages d'un passé sans tache, s'effondrent. L'Afrique apparaît alors dans sa réalité désencombrée de toutes parures, de toutes affabulations. La négritude battue en brèche de la plus belle manière y est égorgée sublimement.

Un texte d’une poésie sans faille

Le devoir de violence, au-delà de sa profondeur philosophique et de sa justesse violente, est d’une poésie exquise. Le langage, sans être déstructuré, restant même très formel, soutenu, délicieusement distingué, est manié par un génie discret, qui, sans être violent, en fait ce qu'il veut. Conduit à la manière d'une prière, la prose semble, par moment, devenir incantation, par d'autres, litanie rituelle, et parfois, délirante extase. C’est une œuvre qui démontre en somme que la limite entre roman et poésie est une ligne de démarcation caduque.

En définitive, ce roman est un ouvrage d'une cruauté salvatrice qui appelle à nous regarder, nous Africains, avec un regard juste. D'une saveur complexe, bien loin des facilités insipides, c’est une œuvre qui traversera l’éternité.

Les critiques d'Elie Ramanankavana

Poète / Curateur d'Art / Critique d'art et de littérature/Journaliste.

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Décembre arrive et, comme chaque année, Madagascar se réveille culturellement.
Soudainement, les salles de spectacle se remplissent, les artistes sortent du bois, les concerts s’enchaînent. C’est la saison des festivités de Noël mêlant sacré et profane, et des expositions de dernière minute. Bref, tout le monde s’active comme si l’année culturelle se jouait en un seul mois. Et franchement, il y a de quoi se poser des questions. On ne va pas se mentir : les artistes malgaches ne sont pas là uniquement pour nous divertir entre deux repas de fête. Ils bossent, ils créent, et à leur niveau, ils font tourner l’économie. Le secteur culturel et créatif représentait environ dix pour cent du PIB national et ferait vivre plus de deux millions de personnes. Pas mal pour un domaine qu’on considère encore trop souvent comme un simple passe-temps sympathique, non ?
Alors oui, ce bouillonnement de décembre fait plaisir. On apprécie ces moments où la création explose, où les talents se révèlent, où la culture devient enfin visible. Mais justement, pourquoi faut-il attendre décembre pour que cela se produise ? Pourquoi cette concentration frénétique sur quelques semaines, alors que les artistes travaillent toute l’année ? Des mouvements sont actuellement en gestation pour revendiquer leur statut d’acteurs économiques essentiels et pour que l’on accorde à nos créateurs une place réelle dans la machine économique du pays. La culture malgache vaut bien mieux qu’un feu d’artifice annuel. Elle mérite qu’on lui accorde l’attention qu’elle réclame douze mois sur douze.

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Prise de vue : no comment® studio 
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Photos : Andriamparany Ranaivozanany

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