Rijasolo « Donner de la dignité aux gens photographiés »
2 mai 2022 // Photographie // 577 vues // Nc : 148

Il est le premier photographe franco-malgache à être récompensé par le jury du World Press Photo dans la catégorie « Africa, long-term projects » pour « The Zebu War » (La guerre des zébus). Un travail commencé il y a presque huit ans en sillonnant le sud et l’ouest de l’île et qui fera l’objet d’une exposition dans le monde entier.

Le « World Press Photo », une consécration ?
On ne s’attend jamais à recevoir un prix, mais lorsqu’on présente son travail à un concours aussi prestigieux, on a toujours un peu l’espoir. On le fait parce qu’on estime que le travail mérite au moins d’être reconnu.
Selon le jury, mon travail met en avant un côté épique, une esthétique romantique pour donner de la dignité aux gens photographiés.
Je trouve qu’ils ont su décrire mon travail car depuis près de 20 ans, je n’ai pas changé, j’ai une vision très « humaniste » des choses.

« The Zebu War », les débuts de l’histoire ? 
Je suis tombé par hasard sur ce sujet. L’année 2010 a marqué le début du trafic de zébus. Avant cela, on connaissait le vol de zébus, une pratique traditionnelle dans le Sud, chez les Atandroy, les Bara et les Antaisaka pour prouver sa virilité, quand on est un prétendant au mariage, devant la famille de la femme qu’on convoite.

Mais en 2012, le trafic de zébus a fait les gros titres des journaux quand l’opération Tandroka a commencé (à lire dans no comment®, numéro 39, mars 2013 et numéro 55, août 2014). Il y a eu une dépêche d’Amnesty International qui disait que des militaires de l’opération exécutaient des personnes sous prétexte qu’elles étaient des dahalo (voleurs de zébus) dans les montagnes d’Andrira dans le district de Betroka. C’est à ce moment-là, qu’avec Bilal Tarabey, correspondant de la RFI à l’époque, on s’est lancé dans cette histoire. Après avoir photographié les villages brûlés, j’ai voulu photographier les militaires et ensuite les dahalo.

Presque huit ans d’un long travail documentaire…
Ce n’est jamais simple. On ne vient pas comme ça avec son appareil photo. Il y a tout un travail de négociations, d’enquêtes pour être sûr de travailler dans de bonnes conditions. Par exemple, pour le reportage en 2020 avec Emre Sari, publié dans Geo Magazine, on est allé dormir dans des villages de gens considérés comme étant des dahalo par les autorités. Les négociations se sont faites deux ou trois mois plus tôt. Nous sommes passés par Louis Kasay, un notable de la région, un descendant des rois Sakalava avec donc une autorité morale. Les dahalo se soucient peu de l’autorité militaire ou de l’État. On avait donc besoin de son autorité pour mettre en place un pacte de non-agression avec les dahalo. On a été bien accueillis avec cette hospitalité traditionnelle de la brousse. Les gens savaient qu’on était des photojournalistes, ils voulaient juste qu’on ne dise qu’ils étaient des dahalo.

Le Sud, ta région de prédilection ?
J’y vais au moins deux fois par an. À chaque fois, j’en profite pour faire des photos pour alimenter mon projet. Par exemple, il y a une photo où l’on voit des dahalo assis sous un tamarinier, des fusils à la main. Je pensais que c’était le fokonolona (communauté villageoise)  en pleine cérémonie de réconciliation avec d’autres villages. Je n’étais pas là-bas pour faire un reportage sur eux, mais je travaillais pour une ONG. J’ai pris place à côté d’eux et je leur ai demandé s’ils avaient déjà volé des zébus, ils m’ont dit oui. Ils viennent de Behahitse dans le district d’Ampanihy. Pour moi, l’histoire sur le zébu est un peu bouclée même si elle n’est jamais complètement finie puisque le vol de zébu est toujours d’actualité. Mais j’ai encore plein d’images que je voudrais faire dans le Sud.


Propos recueillis par Aina Zo Raberanto

Décembre 2015 – Commune de Behahitse.
 Des membres du fokonolona de Betioky rencontrés dans le village de Behahitse, district d’Ampanihy, sont réunis pour une cérémonie de Dina Be (réconciliation suite à un conflit). La plupart d’entre eux sont d’anciens voleurs de zébus qui se sont « rangés » (dahalo niova fo). Ils viennent tout de même armés et protégés de leurs amulettes (ody gasy), au cas où... Ils rendent visite au fokonolona de Behahitse pour réclamer leur dû : neuf zébus doivent être remboursés à la communauté de Betioky, car un habitant de Behahitse y a volé une bicyclette. Mais le fokonolona n’est pas d’accord, il trouve que c’est beaucoup trop et contraire à la règle qui a été établie par le Dina Be. Normalement, le remboursement devrait être de trois zébus. Les deux parties se réunissent sous des tamariniers près du marché du village. Un long  kabary (discours) d’une journée va finalement mettre les deux parties d’accord. Pour sceller ce pacte, un zébu sera tué et partagé.
Juin 2014 - village d'Ambatotsivala.
Des gendarmes de l'opération militaire Coup d'arrêt, s'inflitrent avec précaution dans le village d'Ambatotsivala, considéré par les autorités comme un village de dahalo. En mai 2014, ses habitants ont attaqué le village voisin d'Andranodambo, à 4 km de là. Le lendemain, Ambatotsivala a été complètement détruit par les habitants d'Andranodambo, avec le soutien des militaires. Les habitants d'Ambatotsivala se sont alors enfuis dans les montagnes voisines.
Novembre 2020 – Village de Mataviakoho, Nord Menabe.
 Des hommes fument du tabac local dans le village de Mataviakoho, où réside la communauté du chef dahalo appelé Nonon, un homme réputé dangereux et craint par les populations locales. Les dahalo fonctionnent un peu comme une mafia. Lourdement armés de fusils à deux ou cinq coups, parfois même de kalachnikovs, ils vivent en communauté dans des villages coupés du monde et rackettent régulièrement les villages voisins pour leur imposer une forme d’allégeance. Cette loyauté acquise sous la menace leur permet d’acheter le silence de la population locale lors des opérations militaires anti-dahalo. Il est communément admis que cette pratique du vol de zébu est issue d’une tradition venant des ethnies du Sud (Antesaka, Antandroy, Sara, etc) ayant migré petit à petit vers le Nord dans les années 1990-2000.
Novembre 2020 - Plateau du Bongolava.
Louis Kasay et ses huit bouviers avec leur treize zébus de l'espèce barea traversent le plateau du Bongolava. L'ascension est difficile et éprouvante, surtout pour les zébus qui doivent franchir un dénivelé de 900 mètres pour enfin arriver sur les hauts-plateaux de Madagascar où vit principalement la population de l'ethnie Merina, dans le centre de la Grande Île. Les barea  sont les zébus endémiques de Madagascar, réputés plus robustes, plus imposants, mais aussi plus difficiles à dompter par rapport au zébu commun originaire d’Inde. Le zébu est un animal emblématique dans la culture malgache surtout en zone rural. Outil de travail pour cultiver la terre autant qu’animal sacré qu’on sacrifie en mémoire des ancêtres, le zébu est aussi prisé en ville par les restaurants et les foyers qui ont les moyens de s’en acheter.
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