Mbolatiana Raveloarimisa (Nifin’Akanga) « On connaît tous quelqu’un qui a déjà avorté »
5 septembre 2021 // Assos // 721 vues // Nc : 140

Alors qu’à Madagascar la loi sur l’avortement est parmi les plus restrictives au monde, le Mouvement Nifin’Akanga ne désespère pas que l’avortement pour raisons thérapeutiques soit enfin légalisé en octobre prochain. Un premier pas qui va dans le bon sens, explique l’une des fondatrices du mouvement.

L’avortement est la deuxième cause de la mortalité maternelle à Madagascar. Combien de cas d’avortements sont pratiqués à Madagascar chaque année ?
Selon le ministère de la Santé publique, 75 000 cas d’avortement sont pratiqués tous les ans à Madagascar. En réalité, il n’y a pas de chiffres définis car comme c’est clandestin, personne n’en parle. Seuls les cas graves dus à des complications arrivent dans les centres de santé. Ce chiffre ne représente donc qu’une infime partie de la réalité. Mais on le sait tous, tout le monde connaît quelqu’un qui a déjà avorté. À Madagascar, l’avortement est criminalisé, la loi sur l’avortement est parmi les plus restrictives au monde. L’article 317 du code pénal, qui a été endurci en 2017, interdit l’avortement même en cas de viol, inceste ou pour des raisons qui peuvent tuer la femme. Conséquence, les actes se font généralement en catimini, ce qui favorise toutes formes de pratiques insécurisées, barbares et violentes.

Ce sont les complications d’un avortement insécurisé qui causent les décès et mutilent les femmes. Un avortement pratiqué dans les conditions optimales, dans des milieux médicalisés par du personnel formé, ne comporte pas de risque.

Le confinement sanitaire a-t-il eu impact ?
Il y a certainement eu des impacts sur l’augmentation des grossesses non désirées et des avortements. La promiscuité dans les quartiers étaient tels que le nombre de viols et d’incestes a explosé. Par le fait du confinement, les femmes qui devaient aller vers les centres de santé pour les méthodes de contraception ne pouvaient se déplacer. On est donc revenu de fait à une période où les méthodes de contraception étaient inaccessibles, notamment parce que gens avaient peur d’aller dans les centres de santé.

Vous avez collecté un certain nombre de données sur les pratiques de l’avortement clandestin à Madagascar. Que nous apprennent-elles ?
Les pratiques de l’avortement à Madagascar ne sont connues que par ouï-dire. Il y a aussi beaucoup de fausses idées et de jugements non fondés. Les résultats finaux et complets de ces données recueillies auprès de 4 478 personnes seront partagés le 28 septembre prochain pour la Journée mondiale du droit à l’avortement. De nombreux faits sont surprenants et cassent les stéréotypes. D’autres viennent assombrir un tableau déjà morbide. Tout d’abord, les femmes avortent à tout âge. La fourchette d’âge que nous avons collectée se situe entre 14 et 50 ans. Il est donc faux de stigmatiser les jeunes comme celles qui pratiquent le plus « cette chose », en réalité, on avorte à tout âge.

La religion entre-elle en compte ?
Les chrétiens forment la communauté qui avorte le plus ; en tête de liste les catholiques puis les protestants. Pourtant, ce sont ceux qui ont les discours les plus virulents et fermés quand on parle de la dépénalisation de l’avortement. Les couples chrétiens sont les plus ouverts à la pratique. Les couples d’athées ou d’autres religions avortent moins. Finalement, un consensus concernant la légalisation de l’avortement en cas de viol, d’inceste et pour des raisons médicales et thérapeutiques semble se dégager des personnes que nous avons enquêtées.

« Les femmes avortent à tout âge. Il est donc faux de stigmatiser les jeunes sur ce point »

Quelles sont les principales raisons qui poussent les femmes à avorter ?
Suivant notre étude, les trois premières raisons des avortements à Madagascar sont : la grossesse précoce, « autre » et enfin la grossesse non désirée. La première réponse comme la troisième nous amène à pointer l’échec cuisant de la contraception à Madagascar. Ce constat nous renforce aussi dans notre conviction sur l’importance de l’éducation sexuelle à tout âge et l’importance d’une stratégie   poussée sur la contraception. La réponse « autre » qui arrive en deuxième position englobe trois causes graves : le viol, l’inceste, les raisons médicales et ou thérapeutiques. Cela porte à croire que les violences sexuelles sont plus répandues qu’on ne le pense.

Quels types de complications sont à craindre avec l’avortement insécurisé ?
La cause de décès la plus fréquente est l’hémorragie. Puis viennent divers cas comme les perforations de l’utérus, les comas. En troisième position, les diverses formes d’infection. Les moyens les plus utilisés sont les prises de médicaments, mais c’est sont souvent de l’automédication ou par le conseil d’un ami qui est tout aussi mal informé sur les risques. Puis, il y a les curetages.

Qu’entend-on par avortement sécurisé ?  
L’avortement est sécurisé quand il est pratiqué par un soignant compétent et expérimenté, avec les instruments corrects et dans de bonnes conditions d’hygiène. Tout ce qui entre dans le vagin et l’utérus doit être stérile, sans microbes, jusqu’à trois mois après les dernières règles. Mais c’est aussi l’accompagnement psychologique de la personne avant, pendant et après l’acte. Car une fois de plus, personne n’avorte par gaîté de cœur. Cet acte doit être fait de manière à respecter la dignité de la femme sur tous les plans.

Quelles sont les actions menées par le Mouvement pour la dépénalisation de l’avortement ?
Le mouvement Nifin’Akanga mène le combat sur plusieurs fronts. Tout d’abord, comme il s’agit du domaine légal, nous sommes dans un processus de concertation avec tous les acteurs pour pouvoir soumettre une nouvelle loi à la prochaine session parlementaire au mois d’octobre. Un consensus a été trouvé sur l’urgence de textes en faveur de la légalisation de l’avortement pour raisons thérapeutiques, c’est-à-dire pour les grossesses qui inévitablement vont tuer la femme.

Sans oublier, les campagnes de sensibilisation…
Nous avons conduit une étude nationale avec plus de 400 témoignages d’hommes et de femmes impliqués dans ce phénomène, ainsi que deux films sur les réalités pratiques de l’avortement. Nous   étudions plus spécifiquement ce qui s’est passé durant la période du confinement. Les résultats seront disponibles dans les mois à venir. Nous sommes la voix de celles et ceux qui ne peuvent crier à l’injustice auprès des faiseurs de lois. Mais nous sommes heureux de voir que les discours changent, les langues se délient, les oppositions tombent, et que la loi pour la légalisation de l’avortement thérapeutique est en très bonne voie.


Propos recueillis par Aina Zo Raberanto

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