Sorti en avril dernier aux éditions Mémoire d’encrier, le livre « Tisser » de Jean-Luc Raharimanana répond à des questionnements sur notre existence. Notre mémoire, notre histoire, notre culture…
Votre dernier livre parle une fois encore de mémoire, d’histoires, de liens…
Mes livres ne viennent pas par hasard, c’est le fruit d’une maturation lente. Tisser rentre dans cette catégorie.
Il était présent depuis longtemps. J’ai toujours été impressionné par le tissage dans notre pays, la place importante que l’on donne aux lamba, au landy, la place importante que l’on donne aux liens, liens de famille, liens de parenté.
Ma manière d’écrire va dans ce sens, de permettre les liens, de partir des fils pour aboutir à un tissu commun : chaque fil, chaque mot, chaque pan d’histoire, chaque fibre de mémoire contribue au grand récit. J’ai réinvesti les mythes et les contes, les philosophies des régions de l’île, et nos rapports avec le cycle de la vie.
J’ai imaginé alors que c’est un enfant-ancêtre qui parle, cet enfant qui n’a pas vu le jour comme dans la nouvelle de David Jaomanoro « Je reviens à Vodihala ».
L’enfant-ancêtre, familier du monde des morts, n’a pas quitté complètement le monde des vivants, et il voit ces deux réalités, il les décrit et les raconte. À sa manière. Bientôt il deviendra biby landy et lolo…
Une couverture en hommage à Madame Zo ?
Il était évident pour moi que la couverture devait porter la signature de Madame Zo, car qui plus qu’elle a travaillé la notion de tissage parmi les artistes contemporains ? J’ai vu ses œuvres, notamment au quai Branly, à Paris, je suis resté très longtemps devant à réfléchir à mes propres tissages. Je ne l’ai jamais rencontrée mais je lui dois beaucoup de choses.
Restituer la mémoire, revivre l’histoire, les principaux thèmes de vos œuvres. Vous dites que c’est « pour mieux construire l’avenir ? »
Je ne dis pas qu’il faut revivre l’histoire, je dis qu’il faut avoir conscience de l’histoire. Restituer la mémoire, oui, car elle nous a été confisquée par la colonisation et par le manque de travail mémoriel depuis l’indépendance. Pourquoi c’est important ? Nous en avons besoin pour comprendre la situation où nous nous trouvons actuellement. Nous avons besoin de comprendre l’histoire pour analyser nos échecs et trouver d’autres pistes pour le présent. La mémoire permet un diagnostic de nos maux, et de nous situer dans nos envies de nous améliorer. Elle nous permet de prévenir les abus, de nous rappeler aussi nos résiliences et nos ingéniosités. L’histoire et sa mémoire nous permettent tout simplement aussi de savoir qui nous sommes, quels chemins nous avons parcouru. Pourquoi sommes-nous là ? Où irons-nous ?
D’où plusieurs livres sur les événements de 1947 (« Nour », « Rano, rano », « Madagascar 1947 ») ?
C’est le fil conducteur d’un cycle de mon écriture. Mais c’est vrai, ce cycle est très important et marque mes lecteurs. Quand j’ai commencé à écrire, c’était essentiellement pour le plaisir d’écrire et de raconter des histoires. Je me suis penché sur notre histoire, plus particulièrement sur 1947, et ce que j’ai vu ne m’a pas plu, les massacres, les dominations, les humiliations coloniales, mais j’ai fait le choix de continuer à explorer cela.
D’ailleurs « Madagascar 1947 » est un de vos livres qui a le plus marché…
Je pense que beaucoup de monde attendait un livre pareil, il venait aussi après mon roman « Nour, 1947 », peut-être que le public y a été préparé. Le soutien de ma maison d’édition Vents d’ailleurs a été aussi très important. Nous avons fait l’effort de proposer un livre à bas prix pour justement faire en sorte de diffuser le livre au maximum. De plus, juste après sa sortie, le metteur en scène Thierry Bedard l’a adapté au théâtre. D’où la pièce « 47 » qui a été joué au Festival d’Avignon et dans d’autres grands théâtres. Le livre a accompagné ainsi les représentations. Quand la pièce a été interdite, cela a donné une lumière supplémentaire au livre. En réponse à la censure, j’ai créé l’exposition « Portraits d’insurgés » avec Pierrot Men. Le livre a ainsi continué de vivre, en parallèle avec le livre de l’exposition, portant le même titre « Portraits d’insurgés ». J’ai voulu aller plus loin, en rencontrant directement les témoins de 1947, je suis allé alors à Moramanga, à Beparasy, à Toamasina et en d’autres endroits pour recueillir les témoignages. Le livre « Madagascar, 1947 » m’a accompagné pendant tout ce processus. C’est un livre qui a réellement rencontré son public.
Vous écrivez également pour le théâtre notamment « Rano, Rano » en collaboration avec Tao Ravao…
C’est un compagnon de toujours, nous avons joué longtemps ensemble, des contes (Le tambour de Zanahary, Les contes de la grande île), des lectures musicales (Par la nuit), et j’avais besoin d’un ami pour m’accompagner dans ces rencontres avec les témoins. D’ailleurs, lui aussi voulait comprendre, ce n’était pas seulement une invitation de ma part, c’était aussi un engagement très important pour lui. Il voulait écrire un album sur 1947 (ce qui a donné son album « Vazo », avec le morceau Rano, rano). Ce qu’il faut comprendre, c’est que la pièce de théâtre n’était que la matérialisation de tout le processus. Le plus important pour nous, c’était de rencontrer les témoins, d’aller sur place, d’écouter, de recueillir les témoignages avant qu’ils ne meurent. Ce n’est qu’après que nous avons créé la pièce.
Et Pierrot Men…
Et Pierrot Men, car je voulais des portraits de ces témoins, je voulais qu’ils laissent leurs traces, leurs visages, leurs personnalités. Pierrot Men, car j’admire son travail, et j’avais remarqué qu’il faisait peu de portraits, c’était l’occasion pour moi de lui demander cela, des portraits. Pierrot n’a pas hésité un seul instant, il a de lui-même trouvé les ressources pour aller dans les endroits reculés où vivaient les témoins. Enfin, dès le départ, je voulais une pièce de théâtre avec de la musique, de la photographie et de la vidéo. Vous avez cité Tao Ravao et Pierrot Men, mais il faut parler aussi de Yann Marquis, vidéaste. Sans lui, il n’y a pas la scénographie, ni le traitement vidéo de la pièce. Yann Marquis voulait aussi comprendre pourquoi au sortir de la Seconde Guerre mondiale, après la résistance contre les Nazis, les Français ont pu faire ça à Madagascar.
Comment est venue cette passion pour l’écriture ?
Je l’ai toujours eue, elle n’est pas venue, elle était là. J’ai toujours aimé les mots, l’écriture, les récits, entendre, écouter. Mes parents ne m’ont jamais bridé là-dessus. Au contraire, ils ont mis des livres à ma disposition, ils répondaient à toutes mes questions, ils n’ont pas eu peur quand je leur ai dit que je ne voulais faire que ça, écrire. C’est aussi simple que ça…
Propos recueillis par Aina Zo Raberanto