Fanja Andriamanantena fête cette année ses six décennies à écrire des chansons et à chanter. Infatigable, celle qui se qualifie comme « trop perfectionniste » projette de sortir un livre de 150 pages qui rassemble ses compositions. Avant de se lancer dans une suite de collaborations pour fêter sa carrière, elle revient aujourd’hui sur son parcours.
La genèse de Fanja Andriamanantena ?
J’ai commencé tout à fait par hasard, il y avait un spectacle organisé par mes parents, les frères Georges et Célestin Andriamanantena, avec Ny Railovy, cela s’appelait « Anjomara sy bitsika » (erkencho et murmures), c’était en 1963.
A l’époque, le groupe Ny Railovy n’avait pas de voix féminine, alors qu’il y avait une chanson où il fallait une voix féminine dans le spectacle.
Mon père, Célestin Andriamanantena, m’a donc proposé de l’interpréter, et j’ai accepté.
Un an après, il y avait un concours du meilleur chanteur de blues à l’ancien Centre Culturel Albert Camus, l’actuel Institut Français de Madagascar, j’ai participé et remporté la première place.
C’est ensuite en 1964 et en 1965 que j’ai enregistré trois chansons chez Radio Madagasikara : « Tiako raha ianao » (J’aurais aimé que ce soit toi), « Saingy tiana ve » (Juste parce que je t’aime ?) et « Mpivahiny » (Passager).
Un genre « Fanja Andriamanantena » ?
J’écris des chansons, car toute ma famille est mélomane, que ce soit du côté de mon père ou de ma mère.En plus, j’ai été entouré d’écrivains qui écrivaient des poèmes et de la fiction. Des amis de la famille venaient pour jouer du piano, ce qui m’a fait aimer cet instrument, j’ai créé des mélodies à partir des écrits de mes parents, le poète Rado, et mon père qui est Célestin Andriamanantena. Je ne nie pas que je fais du jazz, mais je le dis toujours : je fais du Fanja Andriamanantena. Le jazz appartient aux Américains, certes il y a cette influence venant de mes oncles maternels, mais du côté de mon père, c’est surtout les musiques classique et évangélique qui m’ont influencé, sachant que mon grand-père était pasteur. D’ailleurs, j’ai appris à chanter et à maîtriser ma voix dans une chorale à Faravohitra.
Les secrets de fabrication des pépites ?
Si je m’efforce à écrire une chanson pour telle ou telle personne juste, car elle le demande, je n’arrive pas du tout à créer. D’ailleurs, je sais toujours si une chanson va être bonne ou non au moment de l’écrire, dans le cas échéant, je les garde pour moi. Depuis toujours, on pourrait dire que je suis égoïste, car je sors seulement les chansons qui me plaisent, mais en même temps, ce sont justement ces chansons qui ont passé l’épreuve du temps. C’est le cas de « Taratasy ho anao » (Des lettres pour toi) que j’ai écrit en février 1972, la chanson est tombée dans l’oubli deux mois après sa diffusion à la radio. De toute façon, je ne voulais pas pousser les auditeurs à l’aimer en faisant un matraquage. Huit ans après, la chanson est redevenue populaire grâce aux cabarets.
Les moments marquants de votre carrière ?
Mon début en 1963 d’abord, ensuite il y a eu la victoire au Centre Culturel Albert Camus lors du concours du meilleur chanteur de blues. Il y avait aussi une compétition à Sofia en Bulgarie où j’ai représenté Madagascar, dans le cadre du Festival Mondial de la Jeunesse et des Etudiants en 1968, Madagascar a remporté la médaille de Bronze après le Norvège et le Brésil. En 2012, l’Etat malgache m’a élevé au rang de commandeur des arts, des lettres et de la culture. Ce sont les événements qui m’ont le plus marqué, à part bien sûr les moments passés avec les amis musiciens, comme ma collaboration avec Bessa et Dadah en 2013 à l’ESCA.
Une méthode pour réussir l’épreuve du temps ?
Il n’y a pas d’effort en particulier, tout part d’une inspiration. Je m’assois devant le piano par exemple, il se peut que j’arrive à créer instantanément une mélodie, il se peut qu’elle continue ou pas, ou que je l’oublie tout court.
Le monde de la musique à Madagascar actuellement ?
Je ne juge personne, car chacun a son expérience, son univers, la société dans laquelle il évolue. Mais surtout, ce qui est beau pour moi ne l’est pas forcément pour un autre, et vice versa. La musique évolue forcément, car elle est vivante, elle a une âme comme tout être vivant, son environnement évolue en parallèle. Par exemple, nous sommes plongés dans l’ère de l’Internet maintenant, ce qui fait que les influences étrangères sont plus fortes, et rien que cela détermine déjà où va la musique. De ce fait, je ne peux juger, cela ne veut pas dire que je suis fermée sur mon petit monde ; au contraire, j’écoute tous les genres de musique. La seule chose dont je peux me vanter est de bien s’entendre avec tous les musiciens dans tout Madagascar : j’ai déjà travaillé avec Théo Rakotovao, j’ai supporté mes amis Shyn et Denise, je m’entends très bien avec Monique Njava, et bien d’autres encore.
Un conseil pour vos cadets ?
Aimerait-on que la musique malgache évolue ? J’affirme toujours que la musique fait partie de la culture, et c’est la culture qui devrait guider, diriger et gouverner un pays, car elle éduque. De ce fait, elle ne connait pas de limite géographique, elle doit réconcilier les territoires, ainsi, nous aurons une vision plus large et apporter quelque chose à la culture, autant qu’elle nous en apporte. La musique est un travail, si vous respectez ses règles, ses bonnes pratiques en termes de communication, la qualité, la technique, elle devrait marcher. D’ailleurs, c’est ce que les artistes qui réussissent font.
Propos recueillis par Mpihary Razafindrabezandrina
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