Campement (suite et fin)
26 octobre 2024 // Mistery // 1788 vues // Nc : 177

Après m’avoir rassurée, il partit éteindre la lumière. À peine la pièce fut-elle plongée dans l’obscurité qu’une voix étrange s’échappa de ma bouche. Ce n’était pas la mienne, mais elle ressemblait étrangement à celle que j’avais entendue peu auparavant. Effrayante, elle résonna en appelant le nom de mon frère aîné. Le cri était si perçant que mes tympans semblaient prêts à éclater. En une fraction de seconde, je me précipitai vers l’interrupteur, déterminée à rallumer la lumière. Mon frère, horrifié par cette voix, ne perdit pas de temps et, d’un geste vif, dissipa l’obscurité. La voix cessa aussitôt, comme par enchantement. Tentant de reprendre mon souffle malgré la douleur qui me déchirait les cordes vocales, je l’implorai :

– « Partons immédiatement de cet endroit maudit ! »
Ma voix tremblait, ma gorge était nouée. La peur me paralysait, et je savais que je ne pourrais pas supporter cette angoisse plus longtemps. Simultanément, je sentais une force mystérieuse et inquiétante croître en moi, me glaçant l’échine.
– « Je t’en supplie, partons ! » répétai-je, les larmes aux yeux.
« Mais où pouvons-nous aller à cette heure-ci ? Il est presque 23 heures, » répondit-il,
visiblement désorienté. Voyant mon visage blême et mon regard perdu, il prit un moment
pour réfléchir. Après un court silence, il décida :
« Écoutez-moi bien, les enfants. Couvrez-vous chaudement, rassemblez vos affaires. Nous quittons cet endroit sur-le-champ. »

La décision était prise. Nous allions rejoindre les habitants qui nous avaient accueillis au pré-camp. Nous quittâmes les lieux en claquant la porte, abandonnant la plupart de nos affaires et n’emportant que l’essentiel. La nuit était glaciale, et un silence de mort pesait sur nous. La lune se cachait derrière les nuages, et il faisait si sombre que les ténèbres semblaient engloutir tout ce qui existait. J’étais terrifiée, non seulement pour moi, mais aussi pour les innombrables enfants qui me suivaient, recroquevillés dans leurs blousons, une couverture jetée sur leurs épaules. On était presque à la moitié de la nuit et, en plus, il faisait un froid mordant. Les enfants se servaient de leurs couvertures pour se tenir au chaud en s’éloignant progressivement de cette maison horrifique. Sur la route, j’avais tellement peur que mes jambes me poussaient à courir et fuir ce terrible cauchemar. J’étais oppressée, je voulais crier haut et fort pour me libérer. Je me sentais à la fois poursuivie et écrasée par une sensation horrible et inexplicable, et je ne pouvais pas faire ce que je songeais. J’avais un petit garçon que je portais sur mon dos et deux autres à qui je tenais les mains. Mon esprit était totalement embrumé, au bord de la folie face à cette impuissance. Pour couronner le tout, un chien nous suivait, aboyant sans cesse et se montrant de plus en plus agité. Ayant une peur irrationnelle des chiens, vous pouvez imaginer l’effet que cela avait sur moi.

Nous avons frappé à la porte d’une maison. Une famille de quatre personnes nous accueillit : des parents avec leurs deux filles.

-« Entrez, » dit le père de famille. « Pourquoi venez-vous à une heure aussi tardive ? Que se passe-t-il ? » nous questionne-t-il en voyant la longue file d’enfants.

Personne ne répondit. Nous nous contentâmes d’entrer rapidement. La maison ne comportait qu’une seule pièce, avec un grand et un petit lit. Nous nous entassâmes tous dedans. Nous étions environ vingt petits garçons accompagnés des quatre responsables, et la chambre était bondée. Après nous être installés, nous avons relaté tout ce qui s’était passé. Les deux parents nous écoutèrent attentivement, puis, après un moment de silence, la mère, qui était d’ailleurs bergère, brisa l’atmosphère en disant :

« Pour ce soir, prions et puis allons tous dormir. Demain, nous verrons ce que nous ferons. »

Quant à moi, je n’étais pas du tout à l’aise. J’étais sur le qui-vive, scrutant chaque recoin de la pièce, guettant le moindre danger. J'étais facilement distraite, comme si mon esprit était attiré par quelque chose d’invisible. J’étais très agitée, et ça se voyait. Mon frère me regardait constamment. Après un moment, il vint vers moi et me demanda :

« Qu’est-ce qui t’arrive ? »
« Je me sens bizarre, je ne sais pas ce qui m’arrive, » lui répondis-je.

Voyant que mon état empirait, mon frère décida de chercher de l’aide. Il revint avec la mère de famille, un verre rempli à ras bord d’eau bénite à la main. Les responsables sortirent de la pièce avec l’hôte, fermant la porte derrière nous. Vingt petits complètement épuisés s’étaient déjà rendormis. Nous nous installâmes dans la cuisine et commençâmes à discuter plus en profondeur de ce qui s'était passé. En discutant, je sentis soudainement une chaleur intense m’envahir. J’avais tellement chaud que je demandai à ce qu’on me serve à boire. Malgré cela, la chaleur persistait, et j’avais commencé à transpirer. Je retirai mes vêtements et demandai à avoir de l’eau dans une cuvette pour y plonger mes pieds.

« Tu te sens mieux ? » demanda gentiment la maman.
« Oui, » répondis-je. « Je me sens beaucoup mieux. Je pense qu’on peut enfin enlever la cuvette. »

Malheureusement, dès que mes pieds sortirent de l’eau, la chaleur revint de plus belle. Je m'empressai de tirer la cuvette vers moi avec toute la force qu’il me restait et y replongeai mes pieds, comme si ma délivrance se trouvait là. Tout le monde était stupéfait par cette réaction. Après un moment de réflexion, la responsable qui était allée puiser de l’eau avec moi proposa :

« Et si tout cela était lié à l’eau que nous avons puisée ce matin ? »

Tout le monde resta silencieux, méditant sur ces mots. Tout à coup, je me mis à hurler. Je n’étais plus maîtresse de mes mots ni de mes actes. Bien que totalement consciente, je ne contrôlais plus rien. Je voyais des visions horribles où je commettais des actes terribles. Je commentais tout ce que je faisais :

« À l’aide ! Arrêtez-moi ! Je suis en train de tuer cet enfant ! Je suis en train de lui arracher les yeux… »

Cette crise dura quelques minutes. Tout le monde essayait de me maintenir allongée sur un lit. Finalement, épuisée, je m’assoupis.

Le matin, je me réveillai en sursaut, entourée des mains de mon frère et de plusieurs autres personnes, fermement sur moi pour me retenir. Mes parents, d’autres bergers et le pasteur de notre église étaient déjà là. On me calma et on me ramena directement chez nous, à Antananarivo. Mon état se détériora jour après jour. Je faisais des crises presque quotidiennement, voyant toujours cette horrible version de moi-même. Je pouvais sentir les émotions des autres, vivre leur peur et leur joie. J’avais accès à leur passé, connaissant chaque détail de leur vie. Je voyais aussi la vie des gens éloignés, comme des caricatures dans ma tête, et je savais en temps réel ce qu’ils faisaient. Je commençais à détester la viande de porc et délirais à chaque fois que j’en sentais. Je commençai à déféquer du maïs mélangé à une matière gluante et noire, malgré le fait que je n’avais pas consommé de maïs ce jour-là. Les pasteurs et les bergers faisaient des allers-retours incessants chez nous pour m’exorciser, me délivrer. Mes parents, au bord du désespoir, firent appel à divers guérisseurs, chacun avec son interprétation de mon état. Certains affirmaient que j’avais reçu le don de prophétie, d’autres pensaient qu’un esprit maléfique, un sirène en quête d’une femme, m’avait repérée. D’ailleurs, j’ai toujours eu un faible pour les poissons. Une fois, à table, en voyant un poisson grillé, une voix qui n’était pas la mienne, mais celle qui sortait de ma bouche avec une tonalité effrayante, déclara :

« Je vais me régaler, c’est mon met préféré. »

Suite à cela, je fis une nouvelle crise. Actuellement, je mène une vie de prière constante. C’est la seule méthode efficace que j’ai trouvée. Il y a une puissance dans la prière, une puissance bien plus grande que ce qui m’emprisonne. Avec ma persévérance et ma supplication, je sens que cette force vacille devant le nom qui est au-dessus de tous les noms.

Je termine mon récit ici, mais je vous quitte en vous incitant à ne pas blâmer le scout pour cet incident. Le scout n’est pas à condamner. J’ai appris, j’ai grandi et j’ai beaucoup reçu de ce mouvement. Je me suis arrêtée, mais permettez-moi de vous encourager ! Camarades, demeurez fidèles au scoutisme jusqu’au bout ! Fraternellement, l’une des vôtres à jamais.

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