À l’occasion de mon dix-neuvième anniversaire, je m’efforce de gagner un peu de liberté vis-à-vis de ma famille. Ils sont tous obnubilés par l’idée d’une fête « parfaite », mais cela m’importe peu. Pour moi, le temps a le pouvoir de nous faire vieillir, et c’est quelque chose que je déteste. Depuis mes 15 ans, je ne compte plus les années. En revanche, je ne dirais jamais non à une soirée simple sans trop de chichis. Malheureusement, malgré les efforts de ma famille pour m’organiser une fête, je crains que cela ne corresponde à mes attentes.
À 18h30, mes cousins et cousines débarquent pour rejoindre ma soirée. Si seulement je pouvais inviter Mampy et Joro, mes vrais amis, mais leur présence ne passerait pas inaperçue, surtout celle de Joro, avec son attitude efféminée. Cela risquerait de faire fuir les homophobes, et je n’aime pas ça. Rien que d’y penser, j’imagine déjà une soirée incroyable où nous danserions sans retenue, avec Joro en tête, éblouissant la scène avec son mini-short en jean, ses cuissardes, sa perruque blonde et son maquillage impeccable mettant en valeur ses pommettes. Il massacrerait « Born this way » de Lady Gaga en lipsync, et tout le monde l’acclamerait comme la « reine de la soirée » (même à mon propre anniversaire). Si ma grand-mère était encore parmi nous, je n’ose imaginer sa réaction.
Une fête d’anniversaire parfaite serait également accompagnée d’un bon piña colada et d’un bon mojito, sans oublier les pizzas et les garçons. Je suis sûr que j’inviterais un ou deux des gars qui me courent après sur Facebook, histoire d’avoir de la compagnie et de flatter aussi mes amis. Et le meilleur pour la fin ? Tolotra et moi échangerions des regards complices, il me ferait des compliments et, à cause de la musique assourdissante, il glisserait des mots doux et coquins à mon oreille. Ses mots me procureraient des frissons, et nous trouverions ensuite un coin tranquille pour être plus intimes, où il oserait effleurer mon visage. Pour couronner le tout, alors que les invités chantent « Joyeux anniversaire » autour de mon gâteau, Tolotra s’approcherait et m’embrasserait fougueusement, faisant son coming-out devant tous. Je lui sauterais alors au cou, et nous finirions la soirée dans ma chambre, à l’abri de toute interruption.
Mais revenons à la réalité, où mes fantasmes continuent de s’épanouir, mais reste pour le moment hors de portée. Actuellement, c’est ma mère qui prépare les pizzas pendant que mon père presse des jus d’orange, vantant les mérites des fruits bio. Tante Liza, quant à elle, tente de jouer la cool en faisant des mojitos sans alcool. Mampy et Joro ne seront pas là, car d’après eux, ils ne sauront pas comment jouer aux hétérosexuels virils. Inviter quelques prétendants de Facebook n’est pas possible, car en réalité, il n’y en a pas. Quant à Tolotra, il reste le petit ami de ma sœur, et je vais me retrouver seul et sobre pour ce soir. Quelle ambiance ! Je me sers un verre de jus d’orange préparé par mon père, je trinque à mes fantasmes, et à la beauté singulière d’être différent dans un monde parfois trop ordinaire. Cheers !
par MC