Hobisoa Raininoro : Le catalogue est une mémoire de l’exposition
8 février 2024 // Grande Interview // 1212 vues // Nc : 169

Le catalogue de l’exposition « Bientôt je vous tisse tous » est le premier livre sur Madame Zo (1956-2020), artiste tisserande et plasticienne. Lancé par la Fondation H Antananarivo le 20 janvier, cet ouvrage fait suite à l’exposition qui s’y est tenue depuis le 28 avril 2023 jusqu’au 29 février. Entretien avec Hobisoa Raininoro, responsable de programmation à la Fondation H et contributrice au catalogue.

« Bientôt je vous tisse tous », un tissage de lectures ?
Le catalogue se compose de dix textes et des photos des œuvres présentes à l’exposition. Pour le réaliser, il y a eu plusieurs étapes de travail qui sont liées à la réalisation de l’exposition. Nous avons fait appel à trois commissaires internationaux avec lesquels j’ai travaillé, donc nous étions quatre commissaires pour réaliser l’exposition et toute la programmation autour. Chaque commissaire a réalisé un texte pour le catalogue. Ensuite, nous avons fait appel à un comité scientifique composé de Docteur Bako Rasoarifetra qui est archéologue et qui a une fine connaissance de la tradition du lamba et aussi de Madame Zo, puisqu’elles ont déjà travaillé ensemble ; le Professeur Hemerson Andrianetrazafy qui est artiste et historien de l’art, et qui a connu Madame Zo au début de son travail dans les années 2000 ; il y a aussi Sarah Fee qui travaille au musée royal de l’Ontario, et qui a travaillé avec Madame Zo sur plusieurs projets puisqu’elle a fait des recherches sur le textile à Madagascar ; nous avons aussi sollicité la participation de Rina Ralay-Ranaivo qui a travaillé sur trois expositions de Madame Zo à l’IFM. À part ces huit auteurs, il y a deux textes introductifs de Hassanein Hiridjee, président de la Fondation H, et de Margaux Huille qui est la directrice. À part ces dix textes, les poèmes de Na Hassi viennent ponctuer le catalogue. On trouve également des photos de vues de l’exposition, réalisées par Fabio Thierry Andriamiarintsoa de l’équipe de la Fondation H, et de Nicolas Brasseur qui est un spécialiste de la photographie d’art.

Comment le livre se présente-t-il en tant qu’objet ?
Ce n’est pas seulement un livre, c’est un chef d’œuvre en lui-même. Ilias Studio a beaucoup travaillé avec l’équipe de la Fondation H pour la couverture, le design, la forme, le choix du papier. L’œuvre sur la couverture présente deux matières : le cuivre et la bande magné- tique. Ce sont les deux matières les plus présentes dans l’exposition. Ces matières-là, Madame Zo les a explorées et déployées de dizaine de manières. Le choix de ces matières est symbolique pour nous. Ensuite, la couverture a une couleur cuivrée pour être en lien avec le cuivre, très présent dans l’exposition. D’ailleurs, il y a un texte intitulé « Fils conducteurs » dans le catalogue, car le cuivre est un conducteur en fait, c’est un conducteur de communication, un conducteur de courant.Le fil conducteur est un mot clé de cette exposition, le choix de cette matière est donc hautement symbolique. Cette œuvre sur la couverture est sans-titre, comme beaucoup d’œuvres de Madame Zo. D’ailleurs, on a acheté ces œuvres à son fils après son décès, peut-être qu’elles sont des titres mais personne ne sait. Nous avons utilisé trois types de papier dans ce catalogue : un type de papier pour les textes en français, du papier plus fin pour les textes en anglais, et un papier plus glacé pour les photos. C’est important pour nous de rendre hommage à Madame Zo de cette manière-là, car c’est le premier livre écrit sur elle, et on espère que ce ne sera pas le dernier.

“L’idée est de présenter une forme d’expérience de l’exposition, mais surtout d’en garder une mémoire.”

Comment se déplacer dans ce livre ?
Bonaventure Soh Bejeng Ndikung décortique le corpus d’œuvre de Madame Zo, il ne lit pas seulement les œuvres, il présente aussi sa connaissance et sa compréhension de l’artiste, c’est donc une introduction de l’exposition ellemême. C’est l’autre commissaire Bérénice Saliou qui pré- sente ensuite les différents chapitres de l’exposition, elle est conçue comme une histoire en six chapitres. Ces deux textes servent donc d’explication, ce sont des textes curatoriaux. Le prochain texte qui est d’Alya Sebti part de l’exposition itinérante de Madame Zo sur la RN7, elle parle de l’engagement civique de Madame Zo sur la démocratisation de l’art contemporain. Ensuite, mon texte raconte comment j’ai coconstruit la programmation autour de cette exposition, il y a eu des performances artistiques, des discussions et des tables rondes. Mon texte parle aussi des personnalités qui sont intervenues lors de ces manifestations : des artistes, des chercheurs.

Ensuite, des textes comme « témoignages » ?
Le texte de Rina Ralay-Ranaivo est une biographie presque linéaire de Madame Zo, d’année en année, il évoque les projets sur lesquels ils ont travaillé durant presque 20 ans de pratique artisanale, dans le design et ensuite dans l’art contemporain. Le texte d’Hemerson Andrianetrazafy aborde particulièrement une lecture des œuvres de Madame Zo dans la société, c’est une lecture presque anthropologique des œuvres, vu qu’il connaît bien la culture malgache. Sarah Fee raconte leur amitié, c’est une experte du textile dans le monde, Madame Zo était l’une de ses principales interlocutrices pendant ses recherches à Madagascar, d’ailleurs son texte s’intitule « Une décennie de tableaux et d’amitié ». Quant au Docteur Bako Rasoarifetra, elle évoque les différents projets où Madame Zo et elles se sont croisées, notamment pendant l’installation et la désinstallation de ses œuvres lors de l’exposition « Madagascar : Arts de la Grande Île ».

Quel rapport avec une visite in situ ?
Toutes les photos ont été prises en grand puis en détail, ce qui fait que les œuvres sont très nettes et détaillées dans le catalogue. L’expérience n’est pas aussi visible pendant une visite directe de l’exposition. Dans le catalogue, on voit de toutes petites pellicules, c’est idéal pour une expérience des œuvres, pour les voir. Par contre, on n’y retrouve pas l’expérience immersive d’une visite des salles, même si toutes les salles sont présentées dans les vues d’exposition, parce qu’elles ont quand même des hauteurs. Cette expérience-là, on ne peut pas le ressentir à travers le catalogue. L’idée est de présenter une forme d’expérience de l’exposition, mais surtout d’en garder une mémoire. Nous faisons en sorte que les gens viennent visiter, mais le catalogue servira pour garder en mémoire toutes ces œuvres, ces installations, ces effets d’ambiance, et même la lumière. Dans ce catalogue, nous avons fait un effort pour être fidèle à l’exposition, afin que ceux qui ne peuvent pas venir puissent voir, et il y aussi cette idée de mémoire qui traverse le temps. Dans plusieurs années, le catalogue sera toujours là pour faire connaître les œuvres, pour faire découvrir les formes d’installation, et surtout la proposition curatoriale des commissaires.

Disparue en 2020, comment Madame Zo se retrouve dans le livre ?
Les œuvres sont Madame Zo. Par contre, ce que le comité scientifique, les commissaires, et toutes les personnes qui ont dialogué autour de l’exposition apportent, c’est une lecture des œuvres de Madame Zo. On a des clés de lecturegrâce au travail immense de documentation qu’on a réalisé, une documentation basée sur des interviews de Madame Zo, sur ses croquis, ses cahiers de note. C’est pour cette raison qu’on a un comité scientifique, ce sont des gens qui ont vraiment connu Madame Zo, contrairement aux commissaires qui ont plutôt posé un regard sur son travail. Il y a donc une complémentarité du comité scientifique avec ces commissaires, ils ne connaissaient pas Madame Zo mais ont une fine connaissance au niveau international. Ils ne connaissentpas forcément la scène artistique malgache et se sont basés sur le conseil scientifique pour encadrer leur réflexion. Après, toute la proposition autour de l’exposition est un travail de lecture de l’œuvre de Madame Zo, et d’écriture d’un propos, d’une intention curatoriale. Par exemple, le texte de Alya Sebti parle particulièrement de comment elle voit l’engagement civique de Madame Zo, ce projet civique qu’elle voit dans son œuvre. Ce sont toujours des lectures, des compréhensions, des interprétations, la réception de ce que Madame Zo aurait pu proposer. Ce ne sera jamais une vérité absolue, car Madame Zo n’est pas là pour attester ou confirmer toutes ces propositions.

Que représente ce catalogue pour l’avenir ?
Le catalogue est une mémoire de l’exposition, ce qu’on va aussi faire pour la prochaine exposition. Reproduire l’atmosphère de l’exposition dans le catalogue était l’un des plus grands défis. Lorsqu’on photographie des œuvres, il y a l’exigence de garder le véritable aspect des œuvres alors que nous avons des lumières d’ambiance un tout petit peu jaunes, c’est un défi de respecter la véritable ambiance de l’espace tout en respectant également le véritable aspect des œuvres. Peut- être que « Bientôt je vous tisse tous » pourra voyager, mais c’est « Bientôt je vous tisse tous » à Antananarivo que ce catalogue recouvre, d’où les vues d’exposition qu’on a tenu à avoir dans ce catalogue. Ces œuvres, on pourra les revoir ailleurs, dans d’autres expositions, mais pas avec ce même point de vue curatorial, c’est ce point de vue qui est raconté dans le catalogue.

Propos recueillis par Mpihary Razafindrabezandrina

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