Bernard Devaux : L’homme qui dit non au massacre des tortues
10 août 2022 // Nature // 501 vues // Nc : 151

Les tortues n’ont plus de secrets pour lui. Passionné par elles depuis une trentaine d’années, il en a fait son combat en créant des « Villages de tortues » un peu partout dans le monde, comme celui de Mangily à Toliara (Tuléar).

En avril dernier, 76 tortues – des pyxides arachnoïdes et des tortues étoilées de Madagascar (Astrochelys radiata) - ont été saisies à Ampasinambo, dans la commune de Beheloke, district de Toliara. En juin, 91 de ces mêmes tortues ont été saisies dans la commune d’Ankidona, à Fianarantsoa. Ces reptiles font l’objet de trafics illégaux depuis plusieurs années et les chiffres sont alarmants. Plus de 21 000 tortues endémiques ont été saisies à Madagascar entre 2018 et 2021, précise l’ONG Traffic qui lutte pour la protection de la faune et de la flore.

Face à cette situation, de nombreux organismes militent pour sauver les tortues, notamment la Station d’observation et de protection des tortues (Soptom) créée par le biologiste anglais David Stubbs et le spécialiste de la tortue, Bernard Devaux. Depuis 1988, ils créent des Villages de tortues en France, en Corse, au Sénégal et à Madagascar qui accueillent, soignent, élèvent, remettent les tortues dans leur habitat naturel, tout en travaillant à la sensibilisation du public. « Dans un Village des tortues, ont fait surtout de l’information et de la sensibilisation aux enfants et aux adultes, afin d’améliorer le sort des tortues mal connues, maltraitées ou mises en captivité. On gère aussi un élevage, une clinique des tortues, et on mène des programmes de conservation, c’est-à-dire qu’on accueille des tortues, et on les remet ensuite dans la nature, après plusieurs années d’adaptation en enclos », explique Bernard Devaux. À Madagascar, le Village des tortues se trouve à Mangily-Ifaty, à Toliara. Ce village a pu se créer avec la collaboration locale de l’Association de sauvegarde de l’environnement (ASE) dirigée par un professeur d’université, Daniel Ramampiherika.

Madagascar est le berceau de cinq espèces autochtones, très rares et très particulières, toutes placées en Annexe I de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (CITES). C’est le cas, dans le centre-ouest de l’île, de deux tortues terrestres : Astrochelys yniphora, (tortue à soc) et Pyxis planicauda (tortue à queue plate), ainsi que de la seule tortue d’eau « à grosse tête », Erymnochelys madagascariensis. Dans le Sud, la Soptom s’occupe, deux espèces terrestres : la petite tortue-araignée (Pyxis arachnoides) et la tortue étoilée de Madagascar ou rayonnée, appelée localement sokake (Astrochelys radiata). « Elles sont toutes en grand péril ; depuis cent ans, leur disparition s’accélère », s’alarme Bernard Devaux. « Autrefois, ces tortues étaient mangées pour leur foie qui était très recherché durant la semaine pascale. Aujourd’hui, le problème c’est la destruction de leurs milieux et le trafic.  Madagascar se désertifie, perd son couvert végétal, et l’urbanisation empiète également sur leurs milieux naturels. » 

Surtout, ces espèces rares sont recherchées par les trafiquants, des mafias souvent asiatiques qui les revendent à des prix exorbitants à des collectionneurs. « Des camions arrivent de nuit, et emportent des centaines de tortues, qui sont ensuite entassées dans des hangars, et partent pour l’Asie par avion ou bateau. En 2018, plus de 11 000 tortues étoilées de Madagascar ont été saisies dans un bâtiment près de Toliara, dont la moitié étaient dans un état pitoyable. Nous les accueillons à Mangily-Ifaty pour les retaper, leur redonner la santé. »

En juin dernier, 500 tortues ont été remises dans la nature près du lac de Tsimanampetsotsa. Elles sont équipées d’émetteurs afin d’être suivies par télémétrie pendant deux ans avec l’aide de naturalistes locaux et d’un vétérinaire malgache, sous la surveillance du président de l’ASE, Gilbert Ravelojaona, et avec l’aide financière et technique de la Soptom. Bernard Devaux ne cesse de multiplier les actions de sensibilisation auprès des pouvoirs publics, des partenaires indispensables. Notamment les Directions régionales de l’environnement et du développement durable (Dredd) qui dépendent du ministère de l’Environnement, par exemple pour augmenter le nombre des réserves, comme celle de Tsimanampetsotsa, ou le nombre d’agents ou de véhicules sur le terrain. « On a aussi besoin de l’administration pour surveiller les moyens de transport, les avions à Antananarivo, les bateaux à Toliara, Toamasina (Tamatave), Antisiranana (Diego Suarez) ou Mahajanga. Il faut que les peines soient plus lourdes pour décourager ces trafiquants. Souvent, ce sont de pauvres villageois qui ramassent les tortues pour se faire un peu d’argent. Les condamner ne sert à rien car les vrais coupables sont leur commanditaires  d’Asie du Sud-Est, des Coréens ou des Chinois. »

Pour continuer son travail d’information et de sensibilisation, Bernard Devaux réalise des films et écrit de nombreux livres qui racontent la biologie et la sauvegarde des tortues, parfois des encyclopédies complètes sur les tortues du monde(plus de 300 espèces en tout, dont 250 aquatiques, 60 terrestres et seulement sept marines).  « J’ai même écrit un thriller pour faire comprendre comment fonctionnent les trafics de tortues à Madagascar. »  Ce roman s’intitule Massacre à Madagascar, il raconte les aventures d’un photographe venu de Suède, qui découvre une série de meurtres dans le sud de l’île à cause des trafics animaliers. « Au final, cela l’amène à mieux connaître et aimer les peuples du Sud, comme les Antandroy, à mieux comprendre leurs problèmes sociaux et culturels. » Pour Bernard Devaux, la protection des animaux et de la nature ne cesse jamais, c’est un labeur infini.

Tortue rayonnée équipée d'un émetteur.
Jean Kala, responsable village des tortues de Mangily et les autres naturalistes.


Aina Zo Raberanto

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