Sur les traces d’Elgas, la lucidité
23 novembre 2024 // Littérature // 4535 vues // Nc : 178

Lire Elgas, parcourir cet essai intitulé Les bons ressentiments, Essai sur le malaise post-colonial , c’est faire l’expérience d’une lucidité sans concession sur l’Afrique en général. C’est oser les yeux ouverts. Devant une réalité toujours édulcorée, magnifiée, par les discours identitaires élevés par la tendance en position « décoloniale ». Un exercice nécessaire même si douloureuse.

L’ACCUSATION D’ALIÉNATION DÉMASQUÉE

Qui est aliéné, qui ne l’est pas ? Une question, une accusation combien cruelle, qui nourrit les discussions à sens unique. Un doigt pointé ravageur, et cela d’hier à aujourd’hui, en Afrique, à Madagascar, dans tous les domaines. Combien d’auteurs, combien d’artistes ont été mis au pilori sous prétexte d’aliénation ? Combien d’écrivains ? Combien de plasticiens, de peintres ? Combien de politiques ? Combien d’hommes d’affaires ? Ont été accusés de trahir les siens au nom de l’Occident et de ses valeurs, au nom de la France et ses couleurs ?

Une question assassine en ce qu’elle s’immisce un doute corrosif et instinctif, se nourrissant de l’acidité d’une blessure profonde, celle de la colonisation. Une accusation qui ne peut que faire mouche. À condition de la brandir en premier. C’est donc à qui dégaine le plus vite. Nulle argumentation. Sinon vaseuse seulement. Et pour seul fondement. Un sentiment. L’amertume d’un passé mal avalé. D’un hier étouffant.

Au-delà du consensus, pourtant, Elgas débusque la faille. C’est que cette accusation tant ressassée emprisonne l'Africain dans une définition de soi négatif. En définitive, elle est le revers d'un lien resté fort avec le colonisateur.

Car s’il faut absolument se définir en brisant les liens avec cet occident envahissant, c’est que « l'occident est encore au centre, du simple fait qu'on en fait toujours la condition de l'émancipation. Il se trouve ainsi que l'ordre de la protestation, au lieu de défaire son hégémonie, le renforce et, parfois, renverse tout bonnement la perspective en tombant dans un centrisme inverse que le préfixe afro ne sauve d'aucun despotisme. »

Mais l’auteur n’en reste pas là, dans sa critique virulente, il démontre que l’afro-pessimisme, charge retenue contre certains aliénés par les saints du décolonialisme n’a jamais existé comme courant de pensée. Qu’il n’a jamais été que des cas ponctuels de fulgurante lucidité, du moins chez l’intellectuel africain. Lucidité, tel est bien le mot, et non pessimisme, car comment appeler autrement un homme qui appelle rouge le rouge et noir le noir sinon une personne lucide ?

La dénonciation conduit ainsi, en mettant hors-jeu toute lucidité, tout autre discours que panafricaniste et colonial, à uniformiser le regard africain sur sa réalité, qui au final n’en est plus une. Tout se résume à la faute de l’Occident. Et l’histoire, elle, commence et finit par la seule colonisation.

Dire que nous sommes tout aussi responsables est signe d’une haine de soi. Une seule parole prévaut, celle du décolonialiste. Une seule position, celle de la victime. Cependant, à être victime, où l’on va ? À prendre l’Occident responsable, seul acteur, que peut-on faire ? C’est une boucle stérile où l’Africain est acculé à l’impuissance.

LE CHEMIN DE L’ « INCOLONISATION »

Devant l’impasse, Elgas trouve un point de sortie. « L’incolonisation » face à la colonisation. C'est-à-dire la part inaliénable chez tout peuple. Ce qui reste « incolonisable ». L’auteur l'oppose à l’attitude décoloniale « qui admet tacitement la réussite de l'entreprise coloniale » . Alors qu’à l’envahissement, à la spoliation de l’Occident, quelque chose a résisté, le patrimoine, la culture etc, à l'abri « d'une frontière de la pénétrance des idées exogènes » .

Toutefois, le métissage n'est pas un décès et comme « il n'y a pas de pureté absolue, le métissage est notre condition » . Tout est en prise à une dynamique d'enrichissement mutuel. Elgas souligne ainsi que « l'une des imprudences en la matière est de considérer justement cet incolonisable comme une matière statique et fossile […] qu'on devrait retrouver intact. » . Au contraire, déclare l'auteur « il faut en secouer le poussiéreux vernis, en sonder la force et le réinventer » .

Les critiques d'Elie Ramanankavana
Poète / Curateur d'Art / Critique d'art et de littérature/Journaliste.

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Décembre arrive et, comme chaque année, Madagascar se réveille culturellement.
Soudainement, les salles de spectacle se remplissent, les artistes sortent du bois, les concerts s’enchaînent. C’est la saison des festivités de Noël mêlant sacré et profane, et des expositions de dernière minute. Bref, tout le monde s’active comme si l’année culturelle se jouait en un seul mois. Et franchement, il y a de quoi se poser des questions. On ne va pas se mentir : les artistes malgaches ne sont pas là uniquement pour nous divertir entre deux repas de fête. Ils bossent, ils créent, et à leur niveau, ils font tourner l’économie. Le secteur culturel et créatif représentait environ dix pour cent du PIB national et ferait vivre plus de deux millions de personnes. Pas mal pour un domaine qu’on considère encore trop souvent comme un simple passe-temps sympathique, non ?
Alors oui, ce bouillonnement de décembre fait plaisir. On apprécie ces moments où la création explose, où les talents se révèlent, où la culture devient enfin visible. Mais justement, pourquoi faut-il attendre décembre pour que cela se produise ? Pourquoi cette concentration frénétique sur quelques semaines, alors que les artistes travaillent toute l’année ? Des mouvements sont actuellement en gestation pour revendiquer leur statut d’acteurs économiques essentiels et pour que l’on accorde à nos créateurs une place réelle dans la machine économique du pays. La culture malgache vaut bien mieux qu’un feu d’artifice annuel. Elle mérite qu’on lui accorde l’attention qu’elle réclame douze mois sur douze.

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