Tu railles ces cœurs brûlants qui crient dans les rues. Ils se disputent dans l’assemblée des affranchis, leurs ténors pleins d’esprit, là où tout ce qui compte, c’est parler fort.
« Comme si vous aviez le moindre poids dans ce monde ! Au mieux, vous n’êtes que des cailloux gênants dans leurs chaussures de luxe, et les grosses pointures vous pulvériseront, en même temps qu’elles écraseront les insectes qui les importunent, les cafards », dis-tu.
Je ne réponds pas. J’ai décidé de m’accrocher à cet optimisme borné, même s’il court vers un trou noir. Comme je suis stupide !
Tu prends pitié et t’appliques à démaquiller la peinture de guerre sur mes joues. Les paillettes s’en vont avec un peu de sang, et tu découvres un bleu, un hématome. Pour éviter ton « Qui t’a fait mal ? Les justes ? » et les jérémiades qui s’ensuivent, il faut que mes maux déambulent sur ta peau, jamais léchée par le soleil, seulement par ces chats agoraphobes et les radiations de ton smartphone.
« Je veux » : ta litanie commence enfin. Tu veux invoquer d’autres témoins que la lune et les déserts urbains. Tu veux décrocher un premier amour avant un CDI, ne pas vivre une seconde adolescence car la première t’a été volée, censurée. Tes yeux veulent s’attarder sur la lumière dorée que filtrent les rideaux, après l’amour, un après-midi d’hiver.
Devant ta télé, tu te demandes comment Batman peut faire un blockbuster s’il tue le Joker en prime time, alors que ça ferait couler des océans d’encre s’il l’embrassait.
Tu veux éteindre la télé.
Tu voudrais me tenir la main ailleurs qu’entre ces murs, ne pas scruter ces millions d’yeux avant de t’autoriser la moindre affection.
Comme tu es stupide !
Ta haine envers toi-même est plus lourde que ces montagnes que nous essayons de déplacer ;
les « je t’aime » timides que tu murmures sont l’écho de ces « folles » qui s’égosillent en slogans, et pourtant tu les méprises.
Que feras-tu, la nuit où les grands méchants loups défonceront ta porte, et que ta passivité mollassonne s’incendiera avec tes polaroïds ?
Tu devras apprendre à sentir l’encens dans les chambres à gaz, à chérir la chaleur d’un foyer sur le bûcher, à pressentir la poésie dans les insultes, à t’abandonner comme dans une étreinte lors des coups de poing, à ficeler un polar alambiqué à partir des complots ourdis contre toi,
à comprendre des blagues — et forcer un rire — dans les discours obscurantistes, à t’imaginer dans un club leather, dans les cachots. Tu te diras : « J’aurais dû brandir des banderoles, au lieu d’un livre auquel je ne crois même pas. »
Et tu sauras que des guerres sont menées autour de ta tasse de thé et de ton petit sofa en velours.
M