Elu meilleur documentaire court au Sillicon Valley African Film Festival en Californie (USA) en octobre dernier, « Les sentiers du doute » émeut jusqu’au public le plus large. Premier film de Gourio Laurino Raoelijaona, ce documentaire est une immersion dans la vie du peuple Mikea vivant dans le sud-ouest de Madagascar, là où culture et sensibilité se réunissent. Un film qu’il a produit suite à un concours en 2022, et une invitation dans un monde authentique qu’il offre au public du monde entier.
Entre vous et le cinéma documentaire… Quelle histoire ?
Je suis un cinéaste passionné par les récits humains, leur complexité et les façons dont les sociétés se construisent au fil du temps. C’est au contact du cinéma documentaire que j’ai trouvé une voie qui me permet d’allier mes intérêts pour la narration, l’authenticité et la réalité. Je n’ai pas été dans une école de cinéma, je me suis formé tout seul en regardant des vidéos documentaires pour m’inspirer, des tutoriels aux aspects techniques et narratifs du documentaire.
Mon premier film court-métrage, « Les Sentiers du Doute » ou « Trails of Doubt » en anglais, est un projet qui m’a permis de me lancer dans un travail en profondeur, aussi bien sur le terrain que dans la post-production. Le film a pu voir le jour grâce à une bourse de production que j’ai eu en gagnant le « Grand Prix ePOP 2022 » avec une vidéo de trois minutes qui s’intitule « Sihanaky et la disparition des géants » tournée à Ampotaka. C’est un concours de vidéo international organisé par RFI planète Radio et l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD). Le documentaire m’a toujours attiré, car il permet de donner une voix à ceux qui sont souvent invisibles. J’ai voulu utiliser ce genre pour explorer des réalités qui ne sont pas forcément abordées par les fictions. La vérité brute et l'authenticité du documentaire, sa capacité à montrer la réalité sans la masquer, m’ont semblé être un moyen puissant d’engager le spectateur et de faire réfléchir sur des enjeux qui me sont chers.
Un film sur le peuple Mikea ?
Le projet « Les sentiers du doute » a débuté après une rencontre avec un groupe de la communauté Mikea, un peuple vivant dans le sud-ouest de Madagascar, dans la forêt Mikea. J’ai été profondément touché par leur histoire, leur rapport à la nature et leur manière de vivre. L’écriture du film a été un processus un peu long et immersif, car il fallait non seulement comprendre leur culture, mais aussi capturer leurs voix de manière authentique. J'ai choisi de traiter ce sujet pour montrer que l'existence du peuple Mikea et leurs traditions sont menacées de disparition. Leur mode de vie, profondément lié à la nature, est de plus en plus confronté aux pressions de la modernité. À travers ce film, je souhaitais laisser une trace de leur mode de vie, de leurs coutumes et de leur relation à la nature, au cas où ces éléments disparaîtraient un jour. C'est une manière de préserver une mémoire collective et de souligner l'importance de protéger ces cultures avant qu'elles ne soient effacées par les changements qui les entourent.
Un tour de festivals locaux et internationaux, quels ont été les moments forts du parcours ?
Brandir le « zébu d’or » au Madagascourt Film Festival à Madagascar a été un moment mémorable, car c’était une belle victoire à domicile dans la catégorie panafricaine. Cependant, le festival qui m'a particulièrement marqué est le « Silicon Valley African Film Festival » aux États-Unis. Nous avons été vraiment gâtés, avec un accueil exceptionnel et surtout des rencontres incroyables avec des personnalités du cinéma. Parmi celles-ci, il y avait Souleymane Cissé, le grand réalisateur malien, ainsi que John Kani, l'acteur sud-africain célèbre pour son rôle du Roi T’Chaka dans « Black Panther » et « Captain America : Civil War ». Ce qui m'a encore plus touché, c'est que John Kani a souligné qu'il trouvait notre film exceptionnel. Ce genre de retour, venant d'une figure aussi respectée du cinéma, a été une source d'inspiration et de motivation. C'était un moment très marquant, tant sur le plan personnel qu’artistique. Le film est en ce moment dans plusieurs festivals – environ 15 jusqu’à ce jour – remportant des prix pour sa capacité à aborder des questions sociales et humaines complexes. Il a notamment été primé au Festival « Life After Oil » en Italie, au Festival « Beneath The River Danube » en Serbie, au « Madagascourt Film Festival » à Madagascar, au Festival International du Film Amateur de Kelibia (FIFAK) en Tunisie et au Festival « Silicon Valley African Film Festival » aux États-Unis. Nous avons encore un an de délais pour « Les sentiers du doute », ce qui est une excellente opportunité pour élargir son audience. On croise toujours les doigts pour les prix à venir.
« Les sentiers du doute », une expérience humaine… ?
Pendant le tournage, il y a eu un moment très fort où, après plusieurs jours d’immersion dans leur quotidien, chaque fois qu’ils creusaient des tubercules, nous en mangions aussi. À ce moment-là, un membre de la communauté m’a dit : « Tu sais, toi aussi, tu es Mikea maintenant ». Ce fut une reconnaissance de notre relation humaine, de la confiance mutuelle qui s’était installée. Ce genre de moment me rappelle pourquoi je fais ce travail : pour créer des ponts entre les cultures, mais aussi pour apprendre des autres. Mes projets futurs incluent la réalisation d'un nouveau film documentaire en 2025. Mais cette fois, je m'aventurerai plus au Sud, pour explorer de nouvelles réalités culturelles et sociales. Ce projet est encore au stade de recherche, mais je suis très enthousiaste à l’idée de l’aborder et j'ai hâte de m'y plonger davantage dans les mois à venir. Le cinéma documentaire a le pouvoir de donner une voix à ceux qui sont souvent réduits au silence, de rendre visibles des réalités oubliées. « Les Sentiers du Doute » est un voyage dans ces zones d’ombre où l’on se confronte à des questions essentielles sur l’humanité, la vérité et l’injustice. Mon espoir est que ce film puisse inspirer les gens à mieux comprendre les autres et à se soucier du monde dans lequel nous vivons.
Propos recueillis par Rova Andriantsileferintsoa
Facebook : Laurino Gourio